On vous explique pourquoi le tournage du film "Donne-moi des ailes" de Nicolas Vanier est mis en cause pour la destruction de 500 Å“ufs de flamants roses:quality(50)/2025/03/05/donne-moi-des-ailes-67c833db1ed0f958139798.jpg)
Jean-Paul Rouve (à gauche) et Louis Vazquez dans le film "Donne-moi des ailes" (2019), réalisé par Nicolas Vanier. (SND)Le 7 juin 2018, une équipe de tournage avait survolé en ULM une colonie de flamants roses en Camargue. Dans la panique, les oiseaux avaient cassé ou abandonné plus de 10% de la ponte.
Le tournage d'un film encourageant la protection des oiseaux a eu des conséquences désastreuses pour certains d'entre eux. Vendredi 7 mars, le tribunal judiciaire de Nîmes (Gard) examine une plainte qui concerne le film Donne-moi des ailes, réalisé par Nicolas Vanier et sorti sur les écrans en octobre 2019. Lors du tournage en Camargue, en juin 2018, quelque 500 œufs de la seule colonie française de flamants roses ont été détruits, soit environ 11% de la ponte cette année-là . Cette estimation se fonde sur "différentes constatations", d'après l'ordonnance de renvoi qu'a pu consulter franceinfo.
C'est un comble pour ce long-métrage inspiré par l'histoire vraie de Christian Moullec (incarné par Jean-Paul Rouve), un scientifique et photographe français qui avait l'espoir de sauver des oies sauvages en voie de disparition. Pour y parvenir, il a mis au point un protocole montrant à ces animaux un trajet plus sûr pour leur migration. Afin de leur indiquer la meilleure route à emprunter, il a eu l'idée de les familiariser à la présence de l'humain dès leur naissance, de les habituer au bruit du moteur pour pouvoir voler auprès d'eux à bord de son ULM. Le film qui raconte ce projet fou a cumulé 1,5 million d'entrées.
Le recours aux ULM, justement, se retrouve au cœur du procès : les œufs ont été détruits ou abandonnés par des flamants roses adultes qui ont été effrayés, les 6 et 7 juin 2018, par des survols de deux appareils de ce type. La justice évoque des "dérangements longs et répétés des oiseaux", dans son ordonnance de renvoi que franceinfo a lue. Elle ajoute que des rushs du film montrent des descentes à "basse altitude à l'endroit du lieu de couvaison afin de faire s'envoler des flamants roses et de les pourchasser pendant plusieurs minutes".
La société de production, Radar Films, est notamment mise en examen pour "destruction non autorisée d'œuf ou nid d'espèce animale non domestique – espèce protégée". Le réalisateur a été entendu sous le statut de témoin assisté, comme d'autres membres de l'équipe du film.
Dans ce dossier, le choix du calendrier de tournage est déjà contestable : le mois de juin est une période sensible pour les flamants roses qui nichent dans la zone près de la commune du Grau-du-Roi, remarque auprès de franceinfo Olivier Gourbinot, juriste chez France Nature Environnement (FNE). L'ONG, qui a porté plainte, fait partie des parties civiles aux côtés de l'Association pour la protection des animaux sauvages (Aspas) et de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO). "Théoriquement", l'équipe aurait dû être empêchée, selon Olivier Gourbinot, car le tournage dans ce "hot spot de la biodiversité" constitue une "perturbation intentionnelle" condamnable, selon l'article L411-1 du Code de l'environnement(Nouvelle fenêtre). Une nuisance encore plus critique en période de nidification, c'est-à -dire de mars à août.
"La simple présence dans ces lieux-là , avec des ULM et une équipe de tournage, conduit à un dérangement de la faune qui est interdit."Olivier Gourbinot, juriste chez France Nature Environnement à franceinfo
Pourtant, l'équipe a bien reçu l'autorisation de tourner dans la zone. Selon un témoignage recueilli par les enquêteurs, la proximité de Nicolas Vanier avec l'ancien ministre Nicolas Hulot (alors ministre de la Transition écologique) a pu faciliter cette démarche.
La LPO, qui porte une double casquette de partie civile et de partenaire du film, se montre plus tempérée. "Tourner en période de reproduction n'est pas le plus opportun mais à partir du moment où l'on garde des distances de sécurité, c'est parfaitement envisageable, appuie auprès de franceinfo Allain Bougrain-Dubourg, président de l'association. Il est possible d'obtenir des images admirables à faire avec de longues focales, comme on peut en avoir aujourd'hui. Ça, c'est acceptable. Mais le survol, non, en aucun cas."
A son crédit, la production du film a travaillé avec un bureau d'études spécialisé et l'ensemble des acteurs locaux pour préserver autant que possible la faune sauvage. Le cabinet a produit des cartes mettant en évidence les zones à éviter, mais elles semblent avoir été ignorées par l'équipe de tournage. "Dès le premier jour de tournage, les ULM sont allés faire des images à plusieurs dizaines de kilomètres de là [du site initial], alors qu'ils avaient dit qu'ils n'iraient pas", avance Olivier Gourbinot, de FNE.
Le bureau d'études avait également suggéré d'envoyer sur place des experts, avec l'équipe de tournage, pour les aider à suivre les recommandations, s'assurer que tous les enjeux soient compris. Cette proposition a été écartée par la société de production, sous prétexte du coût élevé de la prestation, d'après Olivier Gourbinot. Un argument difficilement entendable pour FNE, qui rappelle le budget d'environ 12 millions d'euros du film. Cette somme place Donne-moi des ailes parmi les "grosses productions", selon la fédération d'associations. En effet, un long-métrage français coûtait en moyenne 4 millions d'euros en 2018, rapportait Le Parisien(Nouvelle fenêtre), et le budget moyen d'un long-métrage au sein de l'UE ne s'élevait qu'à 1,93 million d'euros, selon l'Observatoire audiovisuel européen(Nouvelle fenêtre).
Le réalisateur charge un pilote d'ULMLes survols de zones de nidification en ULM ont été réalisés par deux appareils pendant que Nicolas Vanier était lui au sol dans un autre secteur, en compagnie des acteurs, dont Jean-Paul Rouve. Dans le premier engin se trouvaient le pilote en chef et de le directeur de la photographie, dans l'autre étaient placés un second pilote et la doublure de l'un des rôles principaux. Le réalisateur a assuré ne pas être responsable de ces manœuvres qu'il ne supervisait pas. Lors du tournage, après la médiatisation de l'affaire, le cinéaste s'était dit(Nouvelle fenêtre) "très affecté" et avait "condamn[é] très sévèrement cet acte". Il avait également souligné que le pilote de l'ULM était extérieur à sa société de production et qu'il avait mis fin à leur collaboration immédiatement après l'incident. "Un plan de vol avait pourtant été remis à ce pilote, indiquant précisément les zones à éviter", avait-il déploré.
En tournée pour la promotion du film en 2019, Nicolas Vanier avait encore chargé le pilote dans une interview accordée au magazine Geo(Nouvelle fenêtre). "Ce qui s'est passé, c'est très simple, c'est qu'il y a un type – il n'y a pas d'autres mots –, un pilote pour le compte d'un prestataire de services qui effectuait des essais, qui est allé survoler une zone totalement interdite", a-t-il lancé (vers 3'53" dans la vidéo ci-dessous).
Lors de l'enquête préliminaire, le dirigeant de la société de production Radar Films, qui est mise en examen, avait pointé une "initiative" du pilote d'ULM. Le régisseur général avait déclaré aux enquêteurs que ce pilote, qui était directeur de vol pour les deux engins, avait demandé au second appareil de descendre et de s'approcher des flamants roses. L'homme aux commandes du deuxième ULM a déclaré être arrivé de façon tardive sur le tournage, en remplacement, et qu'il n'avait pas connaissance des informations relatives à des zones de survol interdites.
Le directeur de vol refuse d'être le bouc émissaireLe directeur de vol incriminé par plusieurs témoins a affirmé face au juge d'instruction ne pas avoir été informé de zones d'exclusion ou de nidification. Contredisant la version du régisseur général, il a également déclaré s'être approché des flamants roses selon les instructions du directeur de la photographie. Ce que ce dernier nie. Toujours selon sa version, Nicolas Vanier s'est également montré "très satisfait" par les plans d'envols d'oiseaux. Pour lui, le cinéaste et la production le désignent pour écarter leur responsabilité.
France Nature Environnement estime qu'il est commode pour la société de production de désigner le pilote comme responsable, pointant des manquements de la part de Radar Films, un manque d'informations, d'organisation et des moyens inadaptés à la préservation de la tranquillité des animaux sauvages. Cette démarche est d'autant plus incompréhensible que les flamants roses ne sont pas le sujet du film, qu'il n'était pas question de s'en approcher et encore moins de les survoler. Sollicité par franceinfo, l'avocat de la société de production Radar Films n'a pas souhaité faire de commentaires.
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