Citation: Durement touché par la crise du Covid, l’avionneur a annoncé la suppression de 15.000 postes, dont 5.000 en France. Le plan est, de loin, le plus sanglant de l’histoire du groupe.
Le patron d'Airbus Guillaume Faury avait annoncé fin juin des décisions "difficiles" et "amères" pour faire face à la crise du Covid. Elles sont maheureusement bien au rendez-vous. Lors d'un comité de groupe extraordinaire réuni mardi 30 juin, le président exécutif du numéro un mondial de l'aviation a annoncé la suppression de 15.000 postes (14.931 exactement) d'ici à l'été 2021, soit plus de 11% des effectifs du groupe (135.000 salariés). La France, premier pays du groupe avec 49.000 salariés, devrait encaisser un tiers de ces suppressions de postes, 4.952 emplois supprimés, dont 1.464 chez la filiale d'aérostructures Stelia Aerospace. L'Allemagne est également lourdement touchée : 5.100 suppressions de postes y sont prévues, plus 900 au sein de la filiale aérostructures Premium Aerotec. 1.700 postes sont supprimés au Royaume-Uni, 900 en Espagne et 1.300 dans le reste du monde.
Airbus assure ne pas avoir le choix. " 40% de notre activité a disparu, souligne le président exécutif Guillaume Faury. J'aurais aimé éviter ce plan, mais l'étendue et la profondeur de la crise rendent l'adaptation de nos effectifs nécessaires." L'avionneur assure qu'il fera le maximum pour éviter les licenciements secs, mais ne prend pas d'engagement ferme sur la question. "Des mesures forcées" ne peuvent "pas être exclues à ce stade", indique le groupe dans son communiqué, tout en assurant qu'il favorisera "toutes les mesures sociales disponibles, y compris les départs volontaires, les mesures de retraite anticipée, ainsi que le chômage partiel de longue durée pour les activités qui s'y prêtent". Airbus Helicopters, un peu moins touché par la crise, n'est pour l'instant pas concerné par le plan. Quant à Airbus Defence & Space, la division avait déjà annoncé 2.600 suppressions de postes en début d'année, avant la crise Covid.
Les syndicats, eux, considèrent que l'addition est bien trop lourde. "La CFE-CGC considère que la direction d'Airbus recourt trop vite à la solution radicale d'un plan social massif, indique le syndicat dans un communiqué. La perte des emplois et des compétences est un risque lourd pour Airbus, qui prend le pari dangereux et irréversible de ne pas pouvoir répondre au besoin quand la situation du marché se rétablira. Car elle se rétablira." FO, majoritaire chez Airbus, demande quant à lui une embauche pour deux départs, pour ne pas créer une "génération sacrifiée".
Deux fois Power 8
Le plan est, de fait, le plus sanglant de l'histoire du groupe. Il est proche des 16.000 suppressions de postes annoncées par le rival Boeing, alors que même que celui-ci a, en plus du Covid, la crise du 737 MAX à gérer. Et il intègre quasiment deux fois plus de suppressions d'emplois que le plan Power 8 lancé en 2007 par Louis Gallois. Mis en musique par Tom Enders et Fabrice Brégier, ce plan s'était traduit par la suppression de 7.900 postes. La forte croissance de la production d'Airbus avait permis de recréer des milliers de postes les années suivantes, rendant Power 8 finalement assez indolore.
Ce scénario est inenvisageable aujourd'hui. Le choc du Covid a été d'une violence inouïe pour Airbus. Face à la chute brutale du trafic aérien, l'avionneur a dû remballer ses prévisions de croissance, et sabrer sans retenue dans ses cadences de production. En février dernier, dans un "monde d'avant" qui semble aujourd'hui bien lointain, il envisageait encore de passer de 60 A320 assemblés par mois à 67 en 2023. Il a finalement dû se résoudre à une baisse 60 à 40 avions assemblés par mois, soit une baisse d'un tiers. Les long-courriers ont quant à eux connu une baisse de cadence de 40% : l'A350 est passé de 10 à 6 appareils par mois, et l'A330 de 3,5 à 2.
Certes, le carnet de commandes d'Airbus reste historiquement élevé (plus de 7.600 avions). Mais ce matelas de sécurité à long terme n'est pas une protection de court terme : si les annulations restent relativement basses, les demandes de reports de livraisons se multiplient. Les compagnies aériennes, en crise de liquidités, ne sont pas pressées de prendre livraison des avions commandés, ou de passer de nouveaux contrats. La crise provoque également l'annulation de nombreux contrats de leasing d'avions : les appareils des loueurs se retrouvent ainsi en concurrence avec les avions neufs proposés par Airbus et Boeing.
Safran et Daher aussi touchés
Les suppressions de postes annoncées par Airbus s'annoncent aux 8.000 à 10.000 emplois supprimés (pour l'instant hors de France) par Safran, ou aux 1.300 suppressions de CDI envisagées par l'équipementier Daher. Alain Di Crescenzo, président de la Chambre de commerce et d'industrie d'Occitanie, estimait début juin dans la Dépêche du midi que la région toulousaine pourrait faire face à 40.000 suppressions de postes ces prochains mois.
Combien de temps va durer cette crise historique ? Dans sa lettre aux salariés publiée en juin, Guillaume Faury indiquait que le niveau de trafic aérien mondial de 2019 ne serait pas retrouvé avant 2023 "au mieux", "voire 2025". Cette prévision concorde avec l'avis des spécialistes. "Même dans un scénario optimiste, il faudra trois ans pour retrouver le niveau de trafic de 2019 et au moins 10 ans pour rattraper la trajectoire d'avant crise", assurait mi-juin Marc Durance, associé au cabinet Archery Strategy Consulting. Les avionneurs prévoyaient, avant la crise, 8.000 livraisons d'avions sur la période 2020-2024. Le chiffre ne devrait finalement être que de 5.000, voire 3.000 appareils, selon qu'on choisisse le scénario optimiste ou pessimiste d'Archery.
L'autre mauvaise nouvelle, c'est que le segment des long-courriers risque de rester plombé longtemps, plus longtemps en tout cas que celui des monocouloirs. Or les long-courriers sont essentiels à la région toulousaine, qui rassemble les chaînes d'assemblage de l'A350 et de l'A330, en plus d'une chaîne A380 proche de la fermeture. Leur assemblage nécessite également bien plus de salariés que ceux des monocouloirs. Sale temps, décidément, pour l'aéronautique française.
_________________ Un voyage en avion, c'est une manière laïque de croire au ciel et de s'en remettre à lui... (B.Pivot)
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