8 mars 1974 : Inauguration de Roissy CDG. Avant même sa mise en service, la presse ironise : « Un camembert posé sur la plaine de France ». D’autres prétendent que, vu du ciel, la nouvelle aérogare Roissy-Charles-de-Gaulle ressemble à un soleil. Au centre, un cœur de béton et de verre d'où partent des rayons. On a tout dit sur cette aérogare dont l’architecture surprend. On ne s’est pas trop interrogé sur la manière dont elle vieillirait et, aujourd’hui, ceux qui applaudissaient la décrient. Il est bon d’ajouter que, dès le départ, les professionnels ont jugé que deux pistes seraient insuffisantes et que le terminal T 1 verrait vite arriver la saturation avec 20 millions de passagers par an.
Le Premier ministre Pierre Messmer, chargé par un Georges Pompidou mourant d'inaugurer ce nouvel aéroport, est impressionné par les prouesses architecturales réalisées par l'équipe de Paul Andreu. En ce 8 mars 1974, le nouveau terminal est vide. Seule une délégation officielle baptise le bâtiment, sous l'œil fasciné de quelques journalistes. Les premiers passagers, touristes et hommes d'affaires en partance pour New York, emprunteront les toboggans cinq jours plus tard, le 13 mars.
Il aura fallu dix ans d’études et de travaux, et plus de 1,6 milliard de francs, pour que ce terminal, situé à 22 kilomètres au nord de Paris, sorte de terre. Choisi lors du conseil interministériel du 13 janvier 1964, le site de Roissy semble idéal pour désenclaver le nord de la France et pour soulager le trafic aérien de l'aéroport d'Orly, inauguré en 1961, qui a atteint en moins de trois ans son seuil de saturation. Le nouvel aéroport remplacera celui du Bourget, le plus ancien de France, trop petit, trop enclavé en zone urbaine et réservé depuis 1977 à l'aviation d'affaires. Les nuisances sonores et autres pollutions n'affecteront donc que quelques agriculteurs, estime-t-on à l'époque de la maturation du projet. Sur les quelque 3.000 hectares préemptés pour le nouvel aéroport, on ne compte en effet qu'une grosse ferme... C’était oublier l’approche et les décollages d’appareils généreux en décibels comme la Caravelle, le B 727 ou le MD-83.
À mesure que l'aérogare prend forme, l'équipe d’Aéroports de Paris (ADP) réfléchit au nom à lui donner. Initialement, le projet s'appelait « Paris-Nord », avant de devenir « Roissy-en-France » puis « Charles-de-Gaulle » en octobre 1973, six mois à peine avant l'ouverture de l'aéroport. Une manière de glorifier, à titre posthume, celui qui donna son feu vert au projet et qui mourut quatre ans avant son aboutissement.
En quarante ans, l'aéroport a connu des évolutions considérables. Roissy est passé de 200.000 à 492.000 mouvements annuels en 2010 et de 17 à 61 millions de passagers, ce qui lui a permis de devenir le huitième aéroport mondial pour le trafic des passagers et d'occuper la onzième place pour le fret. Pour en arriver là , « CDG » a dû s'agrandir, avec la construction d'une deuxième aérogare au début des années 1980, l'ouverture d'un quatrième terminal en 1993 puis la mise en service d'un sixième et ultime hall en 2003. Son succès a également été conforté par l'arrivée du TGV sur le site même. L'aéroport Roissy-CDG devient donc le pionnier d'un nouveau concept : l'intermodalité, ou combinaison de plusieurs moyens de transport. En revanche, pas de terrasses, pas de baies vitrées, pas de mouchoir à agiter, pas de contact visuel avec les avions. La désespérance !
L'activité cargo a aussi atteint des proportions importantes puisque Roissy-CDG est devenu la première plate-forme logistique d'Europe. Une nouvelle zone de fret devrait bientôt voir le jour à l'est de l'aéroport pour traiter 2 millions de tonnes par an ! L'aéroport est donc naturellement devenu un moteur du développement économique de la région. À preuve, les 600 entreprises, employant quelque 55.000 salariés, qui s'y sont implantées.
La croissance du trafic pose de ce fait de plus en plus de problèmes de sécurité et d'environnement (près de deux millions de riverains subissent les décollages vers l’ouest). Le crash du Concorde en 2000 a eu l'effet d'un électrochoc. De nouveaux aménagements semblent d'autant plus nécessaires aux riverains de Roissy que le projet de création d'un troisième aéroport en région parisienne a été abandonné.
Note personnelle :
Outre les installations aéroportuaires proprement dites, Roissy souffre de plus en plus d’une liaison rapide en site propre avec la capitale. La ligne B du RER a donné son maximum, la saturation est atteinte et les pouvoirs publics ne semblent pas s’en inquiéter. Ils « étudient » en faisant mine d’oublier que si le nombre des avions ne paraît pas trop augmenter, c’est leur capacité croissante qui est devenue le plus grand facteur de saturation. Il est vrai qu’à l’époque de la conception de CDG le mot charter commençait à entrer dans le langage et que low cost était un terme inconnu dans l’aérien.
Je me suis un jour entretenu avec un cadre d’Aéroports de Paris auprès de qui je déplorais qu’on ne puisse, comme à Orly, conserver un contact visuel avec les avions. Il m’a été répondu que c’était voulu par les concepteurs qui souhaitaient que l’aérogare soit ouverte aux seuls voyageurs aériens et pas aux accompagnateurs et au public lambda. « Dans dix ans, m’a affirmé cette personne, vous prendrez l’avion comme on prend le train et lorsque vous prenez le train personne ne vous accompagne. » C’était il y a près de quarante ans, ADP ne semblait pas réaliser qu’un B-747 ce sont 1.100 personnes en additionnant les arrivants et les partants plus ceux qui gravitent autour de l’avion, techniciens, maintenance, commerciaux, services, etc. Et on ne parlait pas encore de l’A380.
On était optimiste, on a oublié d’anticiper.