Chauffeurs de taxi transatlantique ou mules de luxe ? De la réponse à cette question dépend le sort de trois pilotes de ligne français, Pascal Fauret, Bruno Odos et Alain Castany, arrêtés le 20 mars sur l'aéroport dominicain de Punta Cana à bord d'un Falcon 50 chargé de près de 700 kg de cocaïne. Le tribunal de Higuey, où se trouve la station balnéaire de Punta Cana, doit se prononcer lundi 24 juin sur la demande de remise en liberté des pilotes.
Rempli de valises pleines de drogue, le jet privé, qui appartenait au célèbre lunetier Alain Afflelou, s'apprêtait à décoller pour Saint-Tropez avec une escale prévue aux Açores. Le chef d'entreprise avait l'habitude de louer son Falcon lorsqu'il ne l'utilisait pas pour ses propres déplacements, par l'intermédiaire d'une société de leasing en aviation d'affaires, SN THS. L'ancien président Nicolas Sarkozy devait également emprunter le jet dans les semaines suivantes. M. Afflelou s'est dit "stupéfait" et a nié tout lien avec le trafic.
Filmée par la DNCD, l'agence antidrogue dominicaine, l'arrestation, de nuit, par une unité d'élite arrivée en hélicoptère, semble tirée d'un film hollywoodien. Hagards, les quatre Français ont subi un premier interrogatoire sur le tarmac. Puis la caméra de la DNCD a filmé les valises entassées jusque sur les fauteuils du jet, 26 au total, pour une valeur totale estimée à plus de 20 millions d'euros.
PLAQUE TOURNANTE CARIBÉENNE DU TRAFIC DE COCAÏNE
Les pilotes ont tenté de décoller une heure avant l'horaire prévu, après avoir changé plusieurs fois de plan de vol, affirme Carlos Castillo Diaz, le procureur général adjoint présent lors de l'arraisonnement du Falcon. Juste après leur arrestation, ils ont déclaré qu'ils croyaient que les valises contenaient de l'or et des espèces de contrebande. L'une des valises, dans la cabine, était ouverte et les paquets de drogue visibles. Toujours selon M. Castillo, le Falcon était déjà venu chercher de la cocaïne en novembre 2012, à Puerto Plata, sur la côte nord de la République Dominicaine.
Paradis touristique, ce pays est aussi la principale plaque tournante caribéenne du trafic de cocaïne depuis l'Amérique du Sud vers les marchés nord-américain et européen. Plusieurs affaires de "mules" françaises arrêtées dans les aéroports dominicains ont été médiatisées ces dernières années.
Selon le "tsar antidrogue" américain William Brownfield, le trafic de drogue a presque doublé dans les Caraïbes depuis 2011, du fait de l'intensification de la lutte contre les cartels en Amérique centrale. Face à l'explosion de la criminalité associée au narcotrafic, le gouvernement dominicain vient de déployer 1 500 militaires équipés de fusils d'assaut dans la capitale et les principales villes. Cette montée de la violence n'incite pas les juges dominicains à la clémence.
Lors d'une première audience, le 3 avril, le tribunal de Higuey a placé les trois pilotes ainsi que leur passager, Nicolas Pisapia, en détention provisoire pour un an, en attendant le jugement au fond. La même mesure a été imposée à 35 Dominicains, membres de la DNCD, douaniers et agents de sécurité de l'aéroport de Punta Cana soupçonnés de complicité.
Selon le ministère public, le flagrant délit a permis de démanteler la structure mafieuse qui contrôlait l'aéroport de Punta Cana, le plus actif du pays. "Pour faire passer les 700 kg, 1 256 000 dollars ont été dépensés", calcule le général Rosado Mateo, chef de la DNCD.
LES PILOTES AFFIRMENT QU'ILS IGNORAIENT TOUT DU CONTENU DES VALISES
Les enquêtes, des deux côtés de l'Atlantique, ont permis l'arrestation en France de Franck Colin, présenté comme l'un des commanditaires de l'opération, et d'un douanier tropézien, François-Xavier Manchet, mis en examen à Marseille. Ancien garde du corps, Franck Colin a gagné de l'argent dans l'immobilier en Roumanie où s'est également installé son ami Nicolas Pisapia. C'est lui qui aurait contacté Alain Castany pour organiser le vol transatlantique.
Depuis leur arrestation, les trois pilotes clament leur innocence. Ils affirment qu'ils ignoraient tout du contenu des valises embarquées dans le Falcon. Anciens pilotes de l'aéronavale reconvertis dans l'aviation d'affaires, MM. Fauret et Odos ont le soutien de plusieurs centaines de professionnels de l'aviation, civils et militaires. La Fédération internationale des associations de pilotes de ligne s'est inquiétée de leur maintien en détention "bien qu'aucune accusation n'ait été portée contre eux".
Leur avocat français, Me Jean Reinhart, souligne que "dans le cadre du volet français de la procédure, Pascal Fauret et Bruno Odos bénéficient du statut de témoin assisté, aucun élément ne permettant de rendre vraisemblable leur participation, comme auteur ou complice, aux infractions à ce jour constatées".
Me Karim Beylouni, l'avocat de Alain Castany, a adopté la même ligne de défense. Son client, un ancien assureur âgé de 67 ans, "ne pouvait pas connaître le contenu des valises", dit-il. "La justice française considère qu'il n'existe pas de charge suffisante pour le mettre en examen." Christine Saunier-Ruellan, la juge chargée d'instruire l'affaire à Marseille, est venue en République Dominicaine où elle a longuement interrogé les trois pilotes.
"Nous avons un dossier solide, avec leurs contrats de travail et de multiples témoignages en leur faveur", dit Me Maria Elena Gratereaux, l'avocate dominicaine des pilotes Fauret et Odos, qui espère obtenir leur libération sous caution. Les défenseurs soutiennent qu'il s'agissait d'un vol commercial régi par les conventions internationales qui exonèrent les pilotes de toute responsabilité concernant le contenu des bagages. Pour le ministère public dominicain, il s'agissait au contraire d'un vol privé.
Les autorités dominicaines affirment que les droits des pilotes sont respectés. "Pour lutter contre les narcotrafiquants, il faut les frapper au portefeuille", dit le patron de la DNCD, bien décidé à conserver le Falcon d'Alain Afflelou, qu'il prévoit d'équiper d'un radar pour lutter contre le trafic de drogue.
Jean-Michel Caroit ((avec Shahzad Abdul à Paris))
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