Ô combien intéressante cette situation !
La phraséo habituellement reçue est : Cleared to land, Wind…
Les pilotes s'y attendent comme à l'accoutumée : le go-around est tellement rare puisque cela se passe (presque) toujours bien.
Ils sont concentrés sur la courte finale, et peut-être "fatigués" à l'issue de ce vol (il serait intéressant de voir leur planning de la semaine qui vient de s'écouler).
Ils s'attendent tellement à avoir une autorisation d'atterrir que leur cerveau croie enregistrer cette autorisation, la fin de la phrase sur le vent étant, comme toute fin de phrase, mieux retenue que le début. A noter qu'ils déclareront ne pas avoir entendu l'instruction de "Go-around" (mémoire sélective du cerveau humain).
Ils collationnent donc : Cleared to land.
Le contrôleur, par réflexe, commence par dire "Negative…" puis marque un temps d'arrêt pour, probablement, examiner à nouveau la situation visuellement et déterminer s'il peut ou non autoriser l'atterrissage, puisque le pilote a collationné une autorisation d'atterrir. Après tout, la piste va peut-être se libérer à temps, cela peut peut-être encore passer… Il peut peut-être accepter cet atterrissage...
Le contrôleur constate que cela va être trop juste et reprend le micro par une confirmation de Go-around à destination du Tunisair.
Alors même que les pilotes maintiennent leur décision d'atterrissage, trop concentrés sur cette évidence basée sur la routine (perte de conscience de la réalité, des circonstances, et des automatismes/réflexes, ouie sélective, regard en tunnel, etc), l'attention du contrôleur est alors absorbée par le véhicule d'inspection qui l'appelle pour l'informer qu'il libère la piste. Ce qui est probablement exact. Ce qui ne veut pas dire que la piste est entièrement libérée jusqu'à la distance latérale de sécurité.
Lui aussi étant habitué aux situations habituelles, normales, le contrôleur n'a pas l'automatisme/réflexe de donner la priorité au Tunisair pour le rappeler avec un message du genre : IMMEDIATELY, go-around ! Cet IMMEDIATELY aurait PEUT-ETRE "réveillé" les pilotes de l'Airbus et enclenché le réflexe de survie chez eux par l'application immédiate de la procédure interrompue.
Le contrôleur contacte le véhicule d'inspection pour collationner et lui donner instruction de contacter "le sol". La phrase hachée, dont les mots sont très séparés les uns des autres, démontre que le contrôleur "sent" qu'il y a danger de collision et suit des yeux l'arrivée de l'Airbus sur le véhicule de piste probablement avec un montée d'adrénaline, s'attendant à la collision imminente.
On peut retenir aussi que le véhicule de piste est intervenu sur la fréquence au mauvais moment, détournant l'attention du contrôleur et l'empêchant de rappeler le pilote de l'Airbus. Mais l'opérateur radio du véhicule de piste a voulu probablement prévenir la tour le plus tôt possible qu'il libérait la piste, et… cela partait "d'un bon sentiment".
Mon propos est le reflet de ce que j'ai resenti à la visualisation de cette vidéo sonore et à l'analyse que j'en fait à chaud.
Elle n'a absolument pas pour objet de déclarer tel ou tel responsable de ceci ou de cela.
Elle met en évidence - et c'est mon but - l'enchaînement des éléments constitutionnels de cette désormais trop connue "Chaîne accidentelle", dont les maillons s'ajoutent longtemps sans que rien ne se passe, et qui craque un beau jour jusqu'à l'accident lorsque le maillon de trop arrive.
Ouf ! C'est passé. Très près, mais c'est passé.
Restera à en tirer des enseignements pour faire en sorte que cela ne puisse plus se reproduire à l'avenir...