Pourquoi les vols courts en France n’ont finalement jamais été supprimésL’avion devait disparaître en cas d’alternative rapide en train, mais tellement d’exceptions ont été prévues que la loi ne s’applique quasiment jamais.
Encore une loi pour rien ? Sur le tableau des départs de l'aéroport de Roissy, nombreuses sont les destinations qui ne devraient plus exister : Nantes, Lyon, Bordeaux… La loi climat, adoptée en 2021, prévoyait pourtant la disparition des vols intérieurs quand il existait une alternative en train en moins de 2 h 30. Une mesure issue de la convention citoyenne pour le climat – même si son ambition a été revue à la baisse, la convention retenant plutôt un seuil de 4 heures de trajet – qui devait permettre de réduire les émissions de gaz à effet de serre du transport aérien.
Une révolution fièrement brandie par Emmanuel Macron comme témoin de son engagement écologique. « C'est fait », martelait le président dans une vidéo diffusée sur YouTube mi-novembre. Deux ans après l'adoption de la loi, le décret d'application n'a toujours pas été pris et ces vols, toujours pas interdits. Et surtout, le projet de décret du gouvernement, validé par la Commission européenne, permet tellement d'exceptions à la règle que la plupart des vols visés ne disparaîtront finalement pas. Explications.
La mesure ne supprimera donc que trois lignes, toutes au départ de Paris-Orly, vers Bordeaux, Lyon et Nantes. Une économie de 55 000 tonnes de CO2, avance la Direction générale de l’aviation civile (DGAC). Rapporté au trafic global, le chiffre paraît ridicule : ces vols ne représentent que « 0,3 % des émissions au départ de la France métropolitaine, soit 3 % des émissions domestiques », rétorque Jo Dardenne, directrice du pôle aviation de Transport & Environment, un lobbyiste pour la décarbonation des transports. Une mesure avant tout « symbolique, qui n’aura malheureusement que très peu d’impact sur les émissions ».
D'autant que « ces trois lignes interdites étaient toutes en fin de vie », souffle Paul Chiambaretto, professeur de marketing et directeur de la chaire Pégase à Montpellier Business School, spécialisée dans l'économie du transport aérien. « Quand une ligne LGV existe, la fréquentation aérienne s'érode naturellement. » Ne restent alors que la clientèle d'affaire et les passagers en correspondance vers des long-courriers, qu'Air France fait plutôt partir de Roissy, y compris, de plus en plus, les vols outre-mer historiquement basés à Orly.
Quant aux cinq autres liaisons aériennes pour lesquelles un trajet en TGV existe bien en moins de 2 h 30, aucune interdiction n'est au programme. Fin février, cela représentait environ 300 vols par semaine entre Paris-Charles-de-Gaulle (Roissy) et Lyon, Rennes, Nantes et Bordeaux, mais également entre Lyon et Marseille. Un tour de passe-passe permis par deux dérogations introduites dans le projet de décret.
L'exécutif voulait en fait maintenir les vols vers Roissy pour permettre les correspondances avec les long-courriers. Mais la Commission européenne a retoqué l'idée qui créait, selon elle, une distorsion de concurrence entre Air France et les autres compagnies n'opérant pas de vols longue distance. Le gouvernement a donc décidé de retenir la gare TGV de l'aéroport, situé au nord-est de Paris, pour le calcul du temps de trajet en train, plutôt que de se baser sur le trajet entre les centres-villes. Et voilà Bordeaux et Nantes à plus de 2 h 30 de l'aéroport, justifiant de maintenir les vols malgré la LGV vers Paris.

Enfin, pour Roissy-Rennes (2 h 30 en train), Roissy-Lyon (2 heures) et Lyon-Marseille (1 h 40), l'État a tout simplement estimé que les horaires des trains n'étaient pas assez satisfaisants pour être considérés comme une alternative. Le TGV « ne permet pas de retourner à Lyon après l'arrivée des dernières vagues de long-courriers » à Paris, justifie par exemple la DGAC dans la consultation publique menée en décembre et janvier.
Le dernier train de Roissy pour Lyon-Saint-Exupéry (là aussi, on a retenu la gare de l'aéroport) part en effet à 16 h 40 ; le dernier vol à 22 h 10. Même en voulant arriver dans le centre de Lyon, le dernier TGV part à 20 h 39 de l'aéroport. Une amélioration de la desserte par la SNCF « avec des fréquences suffisantes et des horaires satisfaisants pourra permettre l'interdiction de ces liaisons aériennes », assure la DGAC.
« Cette mesure a été complètement détournée », s'agace William Aucant, ancien membre de la convention citoyenne et depuis élu conseiller régional des Pays de la Loire. « L'État manque de courage et joue sur les termes pour essayer d'en faire le moins possible ! » Une loi tellement vidée de sa substance qu'elle en devient absurde, acquiesce Paul Chiambaretto. « On dégrade sensiblement le confort des voyageurs en supprimant ces lignes dont certains ont encore besoin pour, finalement, n'économiser que quelques tonnes de CO2… » D'autant que la question du prix, qui faisait partie de la réflexion de la convention citoyenne, « a été totalement éludée », s'agace le professeur.
« Même si la mesure française est symbolique pour l'environnement pour l'instant, elle est politiquement importante », nuance Jo Dardenne, qui y voit un moyen d'inciter les consommateurs à utiliser des alternatives moins polluantes pour voyager quand elles existent. La mesure, comme l'exige l'Union européenne, devra être réévaluée deux ans après son entrée en vigueur. Encore faut-il que le décret d'application soit pris.
Après deux tentatives pour décrocher le blanc-seing de la Commission européenne en décembre, puis la consultation publique, le décret a enfin été soumis au Conseil d'État, indique l'entourage du ministre des Transports, Clément Beaune. « La publication devrait donc intervenir courant avril, sous réserve de l'examen en Conseil d'État. » En attendant, les compagnies ont d'elles-mêmes supprimé les trois liaisons visées. Les autres vols courts ont encore de beaux jours devant eux.