Et alors, donc, comme promis, le cerveau humain et son fonctionnement...
Déjà , vous devez savoir que, comme toujours, je vais devoir prendre certains raccourcis. Par ailleurs, le sujet est complexe, et en perpétuelle évolution. Ce que je vais développer n'est pas si simple, il y a des interactions qui sont découvertes chaque jour. Et pourtant, je dirais que c'est à ce stade de découverte, celui dont je vais parler, que l'on peut en tirer le plus de conduite à tenir. Et puis, vous allez voir, ça "colle" bien à la réalité, Ã
votre réalité...
Et on commence par une mise en situation, que nous allons décortiquer ensuite. Puis, bien sûr, nous l'adapterons au monde aéronautique. Mais commençons par une situation simple. Trois situations, en fait...
Vous êtes dans votre voiture, dans une agglomération relativement déserte, de nuit, dans une grande ligne droite, avec quelques pavillons de chaque côté. A environ 300 mètres, un feu de signalisation, pour l'instant "au vert"... Vous roulez à 50 Km/h et vous vous rapprochez du croisement...
1 - A 100 mètres du croisement, le feu passe à l'orange, puis au rouge. Vous vous arrêtez.
2 - A 100 mètres du croisement, un enfant apparait sur votre droite, en vélo, et traverse la route devant vous: vous freinez violemment et vous l'évitez.
3 - A 100 mètres du croisement, le feu passe à l'orange puis au rouge. Vous freinez, mais votre pédale devient totalement molle: vos freins ont lâché!
Et maintenant, le cerveau. En fait, les cerveaux... Les trois cerveaux...
- Le cerveau reptilien, c'est la base; Chez lui, c'est le lieu des réflexes, de la survie, de l'esprit de meute, aussi. Il y a le feu dans une pièce, vous ouvrez la porte et vous fuyez, en emmenant vos proches s'il y en a. L'important, c'est qu'un réflexe n'est pas contrôlable. Vous le subissez. Par contre, nous allons le voir, la prise de conscience de ce réflexe va vous permettre d'en atténuer certains effets pervers. Tout est dans cette prise de conscience. Et dans le fait qu'un de vos proches peut lui aussi être victime des effets d'un réflexe.
- le cerveau limbique, c'est le siège de l'apprentissage: tout ce que vous faites et qui vous a été enseigné, c'est là que cela se trouve. Donc, pour l'essentiel de vos actions courantes, c'est cette partie du cerveau qui va être mise en œuvre. Nous allons cependant voir qu'on peut "armer" cette partie du cerveau, pour que dans certains cas, ces réactions deviennent presque un réflexe. Cet "armement" ne dure pas très longtemps, cinq à dix minutes au plus. Il peut être conscient ou non. Mais, s'il l'est, alors son efficacité sera optimisée. Nous allons en reparler.
Le néocortex, c'est à dire le siège de la réflexion, des sentiments. C'est lui qui va vous permettre d'élaborer des stratégies pour résoudre une situation inconnue. Ce cerveau a deux inconvénients: d'abord, il est plus lent, et ensuite et surtout, il faut une certaine démarche personnelle pour le mettre en route. Si vous ne faites pas cette démarche, vous restez bloqués au pire avec votre cerveau reptilien ou, au mieux, avec le limbique...
Mais qu'est ce qu'il nous raconte, le Korejou, là ? Il a fondu un fusible?
Reprenons le cas de notre conducteur(rice)...
Premier cas, le feu rouge, avec deux possibilités de réaction:
- le feu passe à l'orange puis au rouge: un stimulus est envoyé au cerveau reptilien, qui va avoir un effet de sursaut, celui-ci va durer un à deux dixièmes de seconde, puis il va passer la main au limbique: quand c'est rouge, on a appris à celui-ci qu'il faut s'arrêter. Et donc, vous stoppez. Impeccable. Mais il y a moyen de faire mieux...
- le feu passe à l'orange puis au rouge. Sauf que depuis quelques secondes, en voyant que ce feu est resté vert depuis un certain temps, vous avez "armé" votre réaction: "ce feu est vert, mais il va certainement passer bientôt au rouge, et dans ce cas, je freine, et en plus, justement, il n'y a personne derrière moi, donc je pourrai "piler" si nécessaire..." Dès que le feu passe à l'orange, votre réaction est immédiate et vous avez gagné deux dixièmes de seconde (soit, à 50 km/h, deux à trois mètres).
Dans ce cas là , vous êtes dans le connu et envisagé. Et tout va bien... Deuxième cas, l'enfant sur le vélo:
- le reptilien va envoyer un signal au limbique, maos il va y avoir un réflexe de sursaut, ce qui va se traduire par une certaine latence (les fameux deux dixièmes de secondes, voire une crispation musculaire, et peut-être même la perte d'un canal, en général, le canal auditif (jusqu'à 45 secondes!). Puis, le cerveau limbique va prendre le relais et vous allez freiner, avec plus ou moins de retard. Pour optimiser votre réaction, la seule solution est de développer le limbique à ces éventualités: des stages de conduite sur circuit avec évitement d'obstacles. Et, pour un pilote, des séances de simulateur de vol.
Dans ce cas là , vous êtes dans le connu non envisagé. Et ça va encore, le plus souvent...
Troisième cas, les freins lâchent (et le feu passe au rouge). Prenons le cas où vous n'avez pas "armé" votre limbique...
un stimulus est envoyé au cerveau reptilien, qui va avoir un effet de sursaut, celui-ci va durer un à deux dixièmes de seconde, puis il va passer la main au limbique: quand c'est rouge, on a appris à celui-ci qu'il faut s'arrêter. Et là , ça ne freine pas. Nouveau stimulus au cerveau reptilien qui va réagir de plusieurs façons différentes:
- sidération
- crispation musculaire (trois à quinze secondes)
- perte d'un des sens (en général, l'audition, jusqu'à 45 secondes, voire plus)
- réflexe de sursaut.
Vous êtes alors dans l'inconnu et inattendu. Beaucoup moins cool...Et là , c'est l'impasse... La seule façon de s'en sortir, c'est d'aller chercher le néocortex... Plus facile à dire qu'à faire... Pour cela, une seule méthode: relaxation (juste une expiration, cela va suffire), analyse, puis réaction: vous vous saisissez du frein à main et vous freinez... Vous allez donc passer de la boucle courte (reptilien - limbique) vers la boucle longue (reptilien - néocortex) au moins vingt fois plus longue. Comptez deux à trois secondes pour que le tout s'active, selon votre entrainement. Le moment clé, c'est la relaxation... il vaut mieux perdre deux secondes (voire cinq) et partir dans le bon sens que de ne rien faire.
Quelques enseignements de tout ceci:
- d'abord, en cas d'imprévu, vous aurez vous ou vos proches, un réflexe de sursaut: réflexe, donc incontrôlable.Le problème n'est pas de l'éviter mais de savoir en sortir.
- quelqu'un en état de sidération perd souvent le canal auditif: Pour cela appelez-le par son prénom. S'il ne réagit pas, cela est confirmé et dans ce cas là , touchez-le: cela va entrainer chez lui un "reset" de ses fonctions... Au passage, vous noterez qu'une alarme sonore, ce n'est pas vraiment la bonne solution...
- le passage du reptilien au néocortex nécessite une vraie démarche. De plus, après, vous allez être fatigué pendant cinq à dix minutes. Peut-être, en voiture, faudra-t-il vous arrêter un moment, ou, en avion, "passer la main" à l'autre...
- et enfin, lors de situations délicates attendues, il peut être utile "d'armer" le limbique. Je le fais par exemple en voiture lorsque je suis sur route enneigée, pour, si la voiture part en travers, relâcher légèrement la pédale de frein pour qu'elle reprenne son axe.
Lors d'un décollage, et grâce aux indications précédentes que je vous ai donné sur cette phase du vol, vous avez acquis des connaissances (limbique) et vous allez donc pouvoir armer celui-ci. Pensez bien que la phase d'armement ne dure jamais plus de cinq minutes; il faut ensuite "réarmer"...
Et tout ceci appliqué à l'aéronautique? Et bien par exemple, lors du décollage, la certification des avions fait que, s'il y a un arrêt décollage, l'application des freins et autres moyens de freinage est appliquée moins d'une seconde après la panne. Toute la certification des performances avion repose sur cette seconde. Donc, là , pour le néocortex, c'est mort, car sinon, à 300 Km/h (et donc 75 mètres par seconde environ), vous allez terminer dans la luzerne, après la fin de la piste. Donc, vous armez le limbique en révisant à voix haute,
avec également le gestuel, la manœuvre d'arrêt décollage juste avant de vous aligner sur la piste.
Et tout ceci va nous amener à parler de la panne au décollage, et de la vitesse décision V1, à laquelle un décollage est soit poursuivi, soit arrêté.
Mais ceci est une autre histoire...