Les trois premières minutes… Docteur, suis-je folle ?
Bien, donc, nous allons détailler ces trois premières minutes. On va parler moteur, volets, vitesse de décision, changement de configuration de vol (rentrée des volets) et même, si j’ai le temps, du fonctionnement du cerveau humain… Les puristes me pardonneront, je serai forcé de faire certains raccourcis pour cet exposé, sinon, il ferait 200 pages.
L’idée qui prévaut, c’est que vous viviez votre décollage, plutôt que de le subir, tétanisé au fond de votre siège. Comme le sujet est technique, il va y avoir plein d’apartés…
Et donc, justement, on commence : vous avez tous relu la partie de mon petit exposé (première page) sur le B737 max et le réacteur ?… Non ? Allez-y vite !
De ce petit exposé, vous savez ce qu’est un pompage réacteur et sa principale cause, à savoir un trop grand apport de carburant d’un coup. La conséquence directe de ceci, c’est que l’on va devoir, lorsqu’on passe du ralenti à la pleine puissance, envoyer du carburant progressivement dans la chambre de combustion. Et plus le taux de dilution d’un réacteur est grand, plus l’inertie le sera aussi. Retenez que pour passer du ralenti (environ 25% du régime maxi) à la pleine puissance (100%, donc), huit secondes sont nécessaires. Sauf qu’en fait, il faut surtout cinq à six secondes pour passer de 20% à 50%. Ensuite, cela accélère beaucoup plus vite.
Cerise sur le gâteau, sur un même avion, lorsqu’il y a plusieurs réacteurs, ceux-ci n’accélèrent pas exactement tous à la, même vitesse, selon, par exemple, qu’ils sont « au vent » ou sous le vent »…
Prenons le cas d’un Boeing B777 aligné sur la piste, avec une composante de vent de 30 nœuds de travers, coté droit. Si vous actionnez en même temps les deux manettes de gaz de la position ralenti à la position pleine poussée, le réacteur droit, bien alimenté en air, va accélérer nettement pus vite : il atteindra 100% de son régime alors que le moteur gauche, lui, sera péniblement à 50%. Il va donc y avoir une très forte dissymétrie de poussée, et l’avion va faire demi-tour sur la piste, par virage à gauche. Ballot…
Et donc, voilà pourquoi, au décollage, nous appliquons la poussée décollage en deux temps :
- D’abord de 20 à 50% environ, pour contrôler que les deux réacteurs ont bien accéléré en même temps, puis ensuite, lorsque les régimes sont équilibrés, la poussée décollage. Lors de votre prochain vol, observez bien cette mise en poussée en deux temps…
Chouette, vous commencez à « vivre » votre décollage… On poursuit ?
Et, pendant que nous y sommes, (même si cela va servir plus tard), reprenons mon topo sur le B737 max… Vous vous souvenez, je parle partout de la température à l’entrée de la turbine. Cette fichue température, qui en fait, est la principale cause d’usure des réacteurs… Or, très souvent, les pistes sont longues, les avions pas à la masse maximale, et donc, pourquoi décoller systématiquement à pleine puissance, là , où à puissance réduite, on pourrait «économiser »é le moteur et augmenter sa durée de vie ?
Bien, un réacteur, c’est une machine un peu « <bip> »… Lui, il regarde la température extérieure, et, en fonction de celle-ci, il va déterminer la quantité maximale de carburant qu’il peut injecter pour atteindre, à l’entrée de la turbine, la température maximale.
Et donc, si par exemple la piste est longue et que l’on peut se permettre de décoller avec une puissance plus faible, pour qu’il réduise cette quantité de carburant (et donc la température turbine), on va lui mentir…. C’est le concept de la température fictive…
Un jour où il fait 20° à Roissy, on va indiquer au moteur qu’en réalité, il faut 56°C. Le moteur va donc injecter moins de carburant, la puissance sera réduite, et la longévité du réacteur améliorée. Voilà pourquoi il ne faut jamais croire un pilote : c’est un menteur ! S’il raconte n’importe quoi à son avion, il le fera sans scrupule dans la vie courante. De bien tristes sirs… On reviendra plus tard à cette histoire de poussée décollage réduite…
Tout va bien, jusqu’à présent ? Ne vous inquiétez pas, le décollage approche…
Sauf qu’avant, il faut encore que l’on parle du braquage volets…
Les volets et becs, ce sont des dispositifs hypersustentateurs. Je ferai un topo, un jour, là -dessus. Dans le principe, c’est comme si on rajoutait un bout d’aile pour augmenter la portance. Donc, on peut voler moins vite. Sauf que toute cette « tôle » que l’on sort, cela traine et donc il va falloir plus de poussée pour faire voler l’avion.
En fait, pour faire voler un avion, on dispose d’une poussée utile, fournie par les réacteurs. Et l’avion a lui une poussée nécessaire, pour qu’il puisse voler en palier. Si la poussée utile est supérieure à la poussée nécessaire, l’avion monte et/ou accélère. Dans le cas contraire, il descend ou ralentit.
Vous avez compris que plus on sort de volets, plus la poussée nécessaire augmente.
Imaginez une piste courte : vous allez vouloir décoller plus tôt, donc à plus faible vitesse. Pour cela vous allez privilégier un braquage volets plus important, pour que l’avion décolle à plus faible vitesse. Mais cela aura pour inconvénient qu’une fois le décollage effectué, à cause de l’augmentation de poussée nécessaire, l’avion, qui lui, dispose sensiblement toujours de la même poussée utile, montera avec une pente inférieure.
Le décollage approche, mais d’abord, on va parler de votre oreille interne…. Je ne vais pas en détailler son fonctionnement, mais disons qu’il y a une multitude de petits accéléromètres, qui ont leurs limites. Par exemple, si en voiture, vous accélérez très fort, puis que vous diminuez votre accélération (mais la poursuivez tout de même….), votre oreille interne va détecter un ralentissement. En voiture, vos autres sens vont prendre le relais et « détromper » cette fichue oreille interne. Mais en avion, sans références, l’impression de décélération perdurera.
Toujours votre oreille interne : si, en voiture, comme passager et les yeux fermés, vous montez une forte pente à 15% puis que la pente diminue par exemple à 5%, vous serez convaincu que vous descendez.
Et on arrive enfin au décollage. En fait, aux décollages…
Car il y a deux grands types de décollages, selon la procédure anti-bruit qui va être utilisée. Celle qui fait accélérer dès 300 mètres de hauteur, et la seconde, qui fait accélérer à 900 mètres de hauteur.
De toutes façons, jusqu’à une hauteur de 300 mètres, tout se passe de la même façon…

Alignement sur ma piste et mise en poussée vers la puissance décollage. Vous savez maintenant que cette mise en poussée se fait en deux temps.
Une fois la mise en poussée effectuée (poussée réduite ou pleine poussée), ça accélère….
On passe V1 (vitesse de décision, nous en reparlerons), et arrive VR, la vitesse de rotation : le pilote tire sur le manche vers une assiette déterminée, souvent aux alentours de 15°. L’avion décolle et très rapidement, nous rentrons le train. En cabine, cela va se matérialiser par des bruis liés aux changements du flux d’air autour du train. Parfois, aussi, un bruit de pompes hydrauliques. En effet, si les pompes hydrauliques principales sont situées dans les réacteurs (et donc inaudibles), il y a aussi des pompes hydrauliques électriques qui sont elles situées dans le fuselage, au niveau de l’emplanture de l’aile. Et, lors de la rentrée du train, ces pompes viennent aider les pompes principales. Le train rentre, cela fait un « clong » quand il arrive dans son logement. Mais ce n’est pas fini, car quelques secondes plus tard, les trappes de train, qui se sont d’abord ouvertes pour laisser le train passer, vont ensuite se refermer. Deuxième « clong » et surtout, impression de silence. Le bruit des pompes électriques et du flux aérodynamique perturbé s’arrête.
Et ça continue à monter, en poussée décollage…
A 300 mètres, là on va séparer les deux types de décollage :
Cas n°1 : la fin de la montée anti-bruit à 300 mètres de hauteur : Il va y avoir trois phénomènes qui vont s’ajouter :
- D’abord, la réduction des moteurs, de la poussée décollage à la poussée montée. Et là , surtout si vous avez décollé d’une piste courte, et donc en pleine poussée, cette réduction va être sensible. Le régime moteur va passer de 100% à environ 90%. Comme en voiture lorsque l’on accélère moins fort, votre oreille interne va vous donner l’impression d’un fort ralentissement, renforcée par le fait que le brui moteur devient plus faible.
- Et, simultanément, le pilote va « rendre la main », pour prendre une pente de montée plus faible, pour accélérer. Souvenez-vous de la rupture de pente évoquée un peu avant : là aussi, l’oreille interne va vous donner l’impression de chuter. L’accélération de l’avion, très lente sera imperceptible.
- Et ce n’est pas fini : le pilote va ensuite rentrer les volets, ce qui donne parfois l’impression que l’avion « s’enfonce ».
Le cumul de ces trois fausses sensations a un effet terrible sur nos pauvres passagers stressés…
Cas n°2 : la fin de la montée anti-bruit à 900 mètres : là , c’est mieux, car tout va se décomposer…
- D’abord, la réduction des moteurs, de la poussée décollage à la poussée montée. Et là , surtout si vous avez décollé d’une piste courte, et donc en pleine poussée, cette réduction va être sensible. Le régime moteur va passer de 100% à environ 90%. Comme en voiture lorsque l’on accélère moins fort, votre oreille interne va vous donner l’impression d’un fort ralentissement, renforcée par le fait que le brui moteur devient plus faible.
- Et, simultanément, le pilote va « rendre la main », mais beaucoup moins fortement que dans le cas n°1, puisqu’il va conserver la même vitesse et également la même configuration avion, à savoir les volets.
A 900 mètres, le pilote va encore rendre un peu la main, c'est-à -dire diminuer la pente de montée, puis rentrer les volets. Mais, dans le cas n°2, les manœuvres ayant été décomposées, vous aurez des sensations très amoindries.
Retenez qu’au départ de Paris, vous serez dans le cas n°2, et, dans 90% des autres aéroports, dans le cas n°1.
La phase décollage est terminée, vous pouvez vous détendre. Mais là , cette fois, vous savez ce qui se passe.
https://youtu.be/zprX6P6vKeIOn parlera dans quelques jours de la vitesse de décision (V1) et du fonctionnement du cerveau humain, face à trois situations :
- Le connu et envisagé
- Le connu inattendu
- L’inconnu inattendu
Vous remarquerez que, grâce à ce post, en ce qui concerne le décollage, vous êtes passés de "l'inconnu inattendu" au "connu envisagé"...