Crash Aérien à Noirétable - Vol 696 pour Clermont CFE
Le vendredi 27 octobre 1972, vers 18h 20’ TU (pour « temps universel » soit 19h 20 heure locale), le Vickers 724 Viscount F-BMCH d’Air inter s’écrasa à la limite des communes de Viscontat (63) et de Noirétable.
Les communications furent interrompues alors que l’aéronef venait de se signaler à 3600 pieds (1100 m). L’épave fut retrouvée après sept heures de recherches, à environ 1000 mètres d’altitude, dans une colline des bois de la Faye, à 3 km de Noirétable. L’appareil avait décollé de Lyon à 18h 48 à destination de Clermont-Ferrand avec 63 passagers à bord dont quatre enfants.
Pérouges, Ain, 15h15 locales.
Le Commandant Jacques Lebon allume une cigarette, avale délicatement une première bouffée de fumée et lève les yeux vers le ciel, entre les toits des maisons multi-centenaires de la cité médiévale. Derrière lui, Sébastien Duval sort de l’Ostellerie du Vieux Pérouges et vient le rejoindre. Légèrement en retrait, son regard suit celui du Commandant de bord et se tourne lui-aussi vers le ciel.
Malgré un mois perturbé, il fait plutôt bon cet après-midi. Mais les deux pilotes aperçoivent déjà une nouvelle série de nuages bourgeonnants annonçant l’arrivée d’un autre front froid. Oui, vraiment, ils ont bien fait de profiter de ces quelques heures de répit pour s’offrir un bon repas.
Même si le choix fut difficile, Jacques et Sébastien ont tâché de prendre des plats différents, comme cela est conseillé par la Compagnie. Après un verre d’Ypocras, vin doux épicé « maison » en guise d’apéritif, Jacques a opté pour une Mousseline de brochet à la bisque d’écrevisses et lamelle de truffe, tandis que Sébastien débutait avec le Gâteau de foies de volaille, aux champignons et morille.
Pour l’accompagnement, le Copilote se serait bien contenté d’un petit Cerdon régional. Mais le Commandant, grand seigneur, a proposé d’offrir le vin à condition qu’il soit plus digne des plats qui allaient venir ; il a choisi un Beaune Premier Cru « Vigne de l’Enfant Jésus » 1964. Etre Commandant de bord chez Air Inter en 1972, c’est tout un mode de vie…
Jacques Lebon n’est pas arrivé là par hasard. Au début des années cinquante, il entre à l’Union Aéromaritime de Transport (UAT) comme simple « Radio-naviguant ». En 57, il passe son Brevet de Navigateur aérien. En 63, l’UAT fusionne avec TAI (Transports Aériens Intercontinentaux) et donne naissance à l’UTA (Union de Transports Aériens). Le secteur croît rapidement, Lebon en profite et passe son Brevet de Pilote de ligne en 64. Après avoir débuté sur Douglas DC 3 puis DC 4, après avoir effectué plus de 7000 heures comme Radio puis Navigateur, il vole sur DC 6 et DC 6B avant de connaitre l’arrivée du Douglas DC 8, quadriréacteur moderne. Il aura piloté plus de 7400 heures chez UTA, soit plus de 14 000 heures passées en vol durant ses vingt-deux ans de carrière.
A quarante-quatre ans, il était temps de se poser un peu. Le long courrier et le décalage horaire, cela fatigue ; les nombreuses nuits passées en escale, cela éloigne. Jacques a une famille, des enfants qui grandissent trop vite. Fort de sa grande expérience, il dépose début 1972 sa candidature chez Air Inter ; le 1er Août, il est intégré dans la compagnie. Dès lors, il commence sa formation sur Vickers 708 et 724 Viscount, quadri-turbopropulseur de conception déjà ancienne mais encore largement répandu chez Inter.
Après les différentes formations, les qualifications Viscount, l’adaptation en ligne, ce soir aura lieu le dernier contrôle en vol commercial afin de conclure l’adaptation aux méthodes d’Air Inter. Passé cet ultime test, d’autres contrôles viendront, bien-sûr, mais ils seront plus routiniers. Ce soir, c’est vraiment la fin de la formation et, enfin, la confirmation au poste prestigieux de Commandant de Bord chez Air Inter ; cela vaut bien une bouteille de Beaune Premier Cru…
Après l’entrée, Jacques a choisi la continuité avec le Poisson de lac sur verdure et sauce cressonnière, accompagné de ses légumes verts. Sébastien a préféré le Poulet de Bresse rôti au grand four et son Gratin dauphinois, plat local s’il en est.
Sébastien Duval, trente-et-un an, était encore militaire huit mois plus tôt. Pilote dans l’Armée de l’Air où il a effectué un peu moins de 2000 heures de vol, il n’a pas essayé de prolonger son contrat, se sachant moyennement noté et trop peu carriériste pour espérer gagner des galons supplémentaires. Il a préféré se jeter sans transition dans le civil, profitant des avantages de reconversion offerts par l’Armée.
Entré chez Air Inter en mars, il a lui-aussi passé les qualifications Viscount, les formations de travail en équipage et d’adaptation en ligne, avant d’être totalement lâché en ligne début-août. Célibataire et sans enfant, il est toujours disponible pour voler et a déjà effectué 170 heures sur Viscount ces derniers mois.
Bien que le contrôle de ce soir ne le concerne pas directement, Sébastien sait qu’il a montré quelques petites lacunes depuis sa formation et que son expérience du vol civil est bien faible ; ici, ses heures comme pilote de transport militaire ne comptent plus. Il est conscient que le Pilote-Inspecteur qui prendra place derrière Jacques Lebon et lui-même, ce soir, prendra sans doute des notes sur ses talents de « Copi ».
Alors que Jacques préférait le fromage blanc à la crème, Sébastien terminait la bouteille « d’Enfant Jésus » pour accompagner le plateau de fromages affinés. Vint ensuite l’inévitable Galette Pérougienne et son tupin de crème, accompagnée d’une petite assiette de desserts variés.
Satisfaits et repus par le cher mais excellent repas, Jacques Lebon continue de déguster sa cigarette tandis que Sébastien Duval se demande s’il aura le temps de digérer nourriture et alcool d’ici le début du vol. Le Commandant propose de marcher un peu dans le village avant de rejoindre la Peugeot 304 presque neuve, louée à l’aérodrome à un tarif défiant toute concurrence, réservé aux équipages des compagnies aériennes.
* * *
Aérodrome de Lyon Bron, 16h40 locales.
Après s’être changé, Jacques Lebon rejoint la salle de préparation des vols. Sébastien Duval, déjà en pantalon et chemise Air Inter depuis l’Hôtel, n’a eu qu’à ajouter cravate, galons et casquette et se trouve déjà en train de regrouper les différents documents nécessaires.
Le vol Air Inter IT 696 Y est prévu pour un décollage de Lyon à 18h48 locales, à destination de Clermont-Ferrand. Presque complet, l’avion devrait emporter 63 passagers ; une hôtesse et un steward veilleront à leur sécurité.
Le dossier météorologique remis aux pilotes semble confirmer ce qui se devinait déjà depuis Pérouges. « Un front froid aligné sur une ligne Carcassonne – Châteauroux – Le Havre se déplace d’ouest en est. Il a traversé la moitié Ouest de la France dans la matinée à une vitesse moyenne d’environ 45 km/h. » D’après les dernières observations, le front a semble-t-il dépassé Clermont, où il a été signalé une forte turbulence au sol, et est probablement en train d’arriver sur les monts du Forez. Des pluies continues, modérées à fortes, s’étendent à plus de 150 kilomètres à l’arrière du front.
Selon les radiosondages de 12 heures TU (13 heures locales), « les masses nuageuses se développent jusqu’à une altitude de 5000 mètres avec des bourgeonnements locaux dus au relief, ce qui correspond à un nimbostratus pouvant donner des pluies assez fortes, avec développements cumuliformes pouvant entraîner des manifestations orageuses. »
« En clair, on va se faire secouer.
- Ouaip. Au début ça devrait aller, on rentrera dans le nimbus après la montée, peut-être à mi-chemin. Ensuite, on devrait se taper de fortes turbulences. Côté vent, on nous prévoit du 50 nœuds du sud à 10 000 pieds, qui devrait faiblir un peu mais virer sud-ouest quand on aura quitté l’axe Rhône-Saône.
- Givrage ?
- Risque faible. On sera pas loin du 0° dans le nimbus, mais vu la durée du vol, l’avion n’aura pas le temps de se refroidir assez. »
Scrupuleusement, le copilote continue son briefing. Avec le vent du sud, la piste en service devrait être la 17, ce qui implique un virage de 180° par la gauche après décollage et une montée en direction de AD, à l’est de Villefranche-sur-Saône. Verticale AD, nouveau virage à gauche en direction du point A3E, proche de Roanne. Enfin, cap sur la balise CF pour une percée au Locator, probablement avec approche guidée ILS, pour la piste 27 de Clermont.
« Avec les altitudes de sécurité et la durée du vol, on prendra un niveau 100, compatible avec les perfos du 724.
- Ca me va. Carburant ?
- On table sur 3 tonnes pour ce vol, mais avec les risques de vent virant sud-ouest, je propose de prendre 3 tonnes 400. Si on a nos 63 passagers et les 120 kilos de bagages prévus, on a de la marge. »
Deux coups rapides à la porte, entre et se présente le Pilote-Inspecteur. Albert Lapeyre, trente-six ans, connait une carrière fulgurante chez Air Inter. Entré dans la compagnie en avril 66, il obtient son brevet de Pilote de ligne en juillet 68. Qualifié directement Commandant de bord ce même mois sur Viscount, il passe sur Caravelle en avril 71 et devient Instructeur Pilote de ligne un an plus tard. Il cumule déjà près de 6000 heures de vol, dont plus de 4000 depuis son entrée chez Inter six ans plus tôt. Sur les six derniers mois, il a effectué 255 heures sur Viscount et une douzaine d’atterrissages à Clermont-Ferrand, dont quatre après un trajet Lyon-Clermont.
Sa réputation le précède et il semble être apprécié de tous, tant par ses qualités de pilote que d’instructeur. Jacques Lebon se doit de présenter à son tour l’ensemble du briefing à son examinateur…
Suite du récit, par Fabien Camus
http://fabiencamus.blogspot.com/2008/08/vendredi-27-octobre-1972.html