[i]In memoriam... [i]
Non, ça n'est pas une dernière parution, ça va paraître. Notre ami Fliyngman m'a transmis quelques pages pour une relecture avant publication. Ayant trouvé cela super, je lui ai suggéré d'en faire profiter nos amis de crash-aérien. Sa modestie naturelle le retenant, j'en prends l'initiative (avec son aimable consentement, bien entendu). Voici donc son texte qui va en émouvoir plus d'un :
Une belle histoire
12 juin 1944
Par ce beau matin de printemps, un jeune capitaine aviateur américain de 26 ans va partir pour sa première mission de guerre. Il est arrivé peu de temps avant sur cette base de l’ USAAF en Angleterre : Duxford. C’est là qu’est stationné le 78 th Fighter Group. Ce groupe, reconnaissable entre tous grâce au damier blanc et noir qui orne les capots moteurs de ses chasseurs, est équipé de North American P51 Mustang et de Republic P47 Thunderbolt. John va effectuer sa mission sur l’un de ces derniers, du 82 nd Fighter Squadron. Ce sera une mission de bombardement. Pour la circonstance, son avion sera équipé de deux bombes de 500 lbs. Cette mission, destinée à couper les ponts sur la Seine afin de gêner la progression des troupes allemandes vers la Normandie où l’opération Overlord, a débuté voilà une semaine, l’emmènera à Melun après avoir survolé successivement Saint-Valéry, Rambouillet et Juvisy. Il sera « Yellow 2 » dans la section. Son avion aujourd’hui, sera le s/n 42-75591, un P47D répondant au doux nom de « Lady Yvonne » et portant le code MX-C. On imagine aisément le jeune pilote caressant les flancs de sa machine avant de monter s’installer dans le cockpit et se brêler avec l’aide de son mécanicien. L’appréhension qu’il a de sa mission, sa remise en mémoire des gestes cent fois répétés, du briefing qu’il vient d’avoir sur ce qu’il doit accomplir : « sa première » !
12 juin 12 h 45
Arrivé sur l’objectif, la flak est dense. Lourde ou légère, elle forme un mur infranchissable. Tout à coup, un choc violent. Un obus vient de perforer le moteur qui s’embrase instantanément. Le pire scénario imaginable commence pour John. Le moteur vomit une fumée noire et grasse et, surtout des flammes qui ne tardent pas à lécher puis envahir le cockpit et à brûler toute vie. Malgré la souffrance et la douleur toujours plus grande, instinctivement, comme on lui a apprit, John bascule son avion touché à mort sur le dos afin de s’extraire de la fournaise en larguant sa verrière et en débouclant son harnais. Il faut faire vite, la douleur est intolérable et la machine perd progressivement de l’altitude. Il se laisse tomber dans le vide et actionne presque mécaniquement la poignée de son parachute. Au-dessus de lui, il entend le claquement sec de la voilure du parachute qui s’ouvre. Stoppé net dans sa chute, il sent les bretelles du harnais lui mordre les chairs meurtries par le feu. La douleur intense est insupportable et lui arrache un hurlement, suivi d’une nausée atroce qui lui vrille les tripes. On imagine facilement sa descente en souffrance, l’air frais lui fouettant le visage et lui apportant un peu de bien être après la fournaise endurée. Il se pose près d’une ferme un peu au nord-ouest de Melun. Le paysan et son fils, qui ont vu la chute, se précipitent pour lui porter secours. John n’est pas beau à voir. Son visage et ses mains sont gravement brûlés et ses jambes ne sont plus que d’atroces lambeaux de chair brun-rouge. Il est à peine conscient. L’homme et l’enfant soutiennent le pilote comme ils peuvent, ramassent son parachute et retournent vers la ferme. Malheureusement, ils ne sont pas les seuls à avoir vu tomber l’avion : les allemands aussi l’ont aperçu ! Aussi un bataillon de soldats ne tarde-t-il pas à débarquer en camion dans la cour de la ferme et à récupérer le pilote américain. Qu’est-il devenu ? Nul ne le sait en cette époque troublée, la réponse arrivera plus tard… bien plus tard !
31 mai 1997 - Fontaine le Port (77)
Il y a quelques jours, trois semaines pour être précis, j’ai reçu une invitation. Invitation pour l’inauguration d’une stèle érigée à la mémoire d’un pilote américain que je ne connais ni d’Adam, ni d’Eve. Ce petit carton m’a été adressé par un ami, Claude Fouchet. Je lui téléphone, afin d’en apprendre un peu plus sur le pilote et la cérémonie. Claude est un personnage extraordinaire, passionné d’aviation et d’histoire. D’ailleurs, nous nous sommes connus « au pied » de « the Pink Lady », ce B17 qui fait la joie des petits et des grands, des jeunes et des anciens dans les meetings aériens. Nous avions alors très vite sympathisé et chaque fois que l’occasion se présentait nous ne manquions pas de nous rencontrer. Donc, dis-je, Claude m’apprend qu’après plusieurs années de fouilles et de recherches dans les archives, il venait, enfin, de reconstituer l’histoire de ce P47 et de son pilote qui avaient été abattus sous ses yeux le 12 juin 1944 alors qu’il n’était encore qu’un enfant. Il m’apprit ainsi qu’il avait retrouvé la trace de John à l’hôpital Beaujon à Clichy, un bref instant, puis à Epinal, quelques jours plus tard… au cimetière ! Sans doute les Allemands prirent-ils le risque d’emmener ce pilote en captivité, malgré ses blessures, mais il ne survécut que quelques jours à celles-ci et succomba le 16 juin près d’Epinal. Une stèle serait érigée à l’endroit du crash, que nous devions inaugurer ce fameux 31 mai. Je l’assurais donc de ma présence à ses côtés ce jour là et le remerciais chaleureusement de m’en faire l’honneur. Après cette petite conversation, une idée me vint ! Je savais que ce jour-là précisément, et sensiblement à la même heure, « the Pink Lady » devait passer à La Ferté-Alais pour saluer les anciens d’Air Inter qui y tenaient leur repas annuel. Je contactais donc André, le pilote, et lui fis part de mon idée, sans savoir si elle obtiendrait son approbation : faire passer la « Lady » au-dessus de la stèle au moment de la commémoration ! André me signifia alors que c’était tout à fait possible, à deux conditions : que le maire de la commune lui procurât l’autorisation de survol, et… que je lui fournisse la carte IGN de la zone de survol ! Dès que je sus la bonne nouvelle, je m’empressais d’appeler Claude. - Salut Claude, tout est prêt pour samedi ? - Bonjour Patrick, oui, tu viens j’espère ? - Bien sûr, et avec une bonne nouvelle en prime ! - Ah bon, laquelle ? - Accroches-toi Claude, ça va décoiffer ! Aimerais-tu que « the Pink Lady » fasse un passage lors de l’inauguration ? - Bah, tu sais, j’y avais pensé, mais notre budget ne nous permet pas de nous l’offrir. (Il faut dire que déplacer ce mastodonte a un coût : l’heure de vol est de l’ordre de 2500 à 3000 € !) - Ecoute-moi, Claude, je vais jouer le Père Noël (et de lui expliquer la situation)… Mais il faut faire vite et je te laisse le soin d’obtenir l’autorisation du maire dont tu es l’ami. Voilà le numéro de téléphone d’André, tiens moi au courant...
Nous voilà donc réunis dans ce petit village de Seine-et-Marne en ce 31 mai 1997. Trois communes se sont associées au projet de la stèle, aussi les édiles, écharpes tricolores en bandoulière se congratulent, serrent des mains et se félicitent de cette superbe journée. Claude me présente à ces gens en leur précisant que la « Forteresse »….. c’est moi ! Ils me remercient, puis passent à autre chose sans bien mesurer l’importance de l’événement… De discours de remerciements en présentations, je découvre successivement un colonel de l’ Air Force, attaché à l’ambassade US à Paris, un piquet de gardes d’honneur, le frère jumeau du pilote qu’on honore aujourd’hui, dans son costume de colonel de l’Air Force, deux petits neveux, eux-mêmes venus spécialement d’Allemagne où ils sont aussi dans l’Air Force, ainsi que… la fille de John Ramsay ! Elle n’avait que quelques mois quand son père est décédé et ne l’a jamais connu. Petite cérémonie émouvante d’échange de cadeaux. Claude reçoit de la famille une superbe maquette du P47 aux couleurs de celui que pilotait Ramsay. Une exposition, dans le hall de la mairie, initiée par Claude montre des pièces de fouilles retrouvées par lui sur les lieux du crash : un cylindre, une mitrailleuse complètement tordue, d’autres pièces indéfinissables et puis, bien sûr, des photos de John, de son avion et de son trajet supposé jusqu’à Melun tracé sur une carte d’époque. Puis, le fils du fermier, qui avec son père étaient les premiers à porter secours à John, est présenté à la famille. Grand moment d’émotion ! D’autant plus grand qu’à cet instant, ce monsieur d’un certain âge et dont j’ai malheureusement oublié le nom, il me pardonnera sans doute, remis à la fille de John C. Ramsay… le parachute de son père ! Voilà 53 ans qu’il gardait la précieuse relique sans autre but, sans autre espoir que de la remettre un jour peut-être à la famille du pilote disparu. Imaginez l’intensité du moment. La fille de John tomba en larmes dans les bras de ce brave homme. Ce père qu’elle n’avait jamais connu, ressuscité par la bonté et la volonté de ces quelques hommes, c’était plus qu’elle ne pouvait en supporter. Je dois dire que j’aurais été bien incapable de prononcer le moindre mot, tant ma gorge était nouée aussi.
Le passage de la Forteresse étant prévu vers 16 heures, nous prîmes à pied le chemin de la stèle qui se trouvait quelques 800 mètres plus haut que le village, juste à l’orée d’un petit bois. Le long cortège s’acheminait en devisant vers le monument sans que, à part quelques initiés, personne ne fut au courant de ce qui allait se passer. Le secret avait, jusqu’ici, été bien gardé par une poignée d’entre nous. La stèle recouverte d’un drap fut dévoilée par la famille, honneur tout à fait compréhensible. Puis le maire fit son discours. Expédié peut-être un peu trop rapidement, de peur de louper « l’événement », nous nous retrouvons à attendre, pour beaucoup, y compris les Américains, sans comprendre pourquoi, à la lisière de la forêt près de laquelle est la stèle.
16 h 03 ! - Vous croyez qu’ « il » va venir me questionne le maire ? - Si André vous l’a promis, « il » viendra ! affirmé-je. Tout à coup, quelqu’un crie en tendant son doigt vers l’ouest: - La voilà ! Tous les regards convergent dans la direction désignée. En effet, la voilà . Elle passe au sud d’un château d’eau et amorce son dernier virage qui l’amènera juste au-dessus de nous, juste au-dessus de John C. Ramsay. Son virage prononcé lui fait perdre un peu d’altitude et, comme elle n’est pas très haut, le maire se penche vers moi inquiet et me demande : - C’est normal qu’elle soit si bas ? Elle ne va pas s’écraser au moins ? - Ne vous inquiétez pas, « ils » connaissent leur affaire. Face à nous, la machine se redresse élégamment puis passe dans la mélodie enchanteresse des 4800 CV de ses 4 moteurs Wright. Elle est à peine plus haut que les arbres. L’équipage nous gratifie de sept passages consécutifs sous les yeux ébahis de la foule. Les américains ne sont ni les moins émus, ni les moins impressionnés. Pensez donc ! Que les « Frenchies » déplacent une Forteresse volante pour honorer la mémoire de leur père, frère et oncle, ils étaient à cent lieues de l’imaginer. D’ailleurs, savait-ils seulement que les français disposaient de l’unique B17 vétéran de la guerre encore en état de vol dans le monde ? Alors que je suis aux côtés de Claude pendant les passages, une petite mamie lui dit : - Monsieur Fouchet, ça fait drôle de les revoir passer après toutes ces années, je reconnais bien leur bruit, ça me donne des frissons… Après un dernier passage où nous apercevons clairement l’équipage nous saluer, « the Pink Lady » tire sa révérence et regagne Orly. Les gens applaudissent à tout rompre. A présent, il est temps de redescendre au village pour le vin d’honneur. Chemin faisant, Claude me remercie pour ce cadeau royal : « La Forteresse » en point d’orgue pour cette inauguration… Sûr qu’on en parlera dans les chaumières. N’étant pas d’un naturel vaniteux, je minimise mon rôle en affirmant à Claude que c’est le hasard qui voulu que ça puisse se faire. Je n’ai fait que profiter des circonstances et relier les bonnes volontés entre elles.
Le vin d’honneur et les remerciements eurent lieu sur la pelouse, devant la mairie où une grande table fut dressée. Mais avant, une médaille commémorative fut offerte par le maire, Claude et l’attaché d’ambassade aux principaux participants et invités. Quelle ne fut pas ma surprise d’entendre prononcer mon nom dans le micro. C’est bien ma veine, moi qui suis plutôt du genre discret et qui fuis les honneurs ! Je m’approche donc de la table sous le regard d’une foule curieuse qui se pose des questions à mon sujet, bien que j’ai sur le dos mon blouson A2 orné de la magnifique pin-up « Pink Lady ». Claude chuchote à l’oreille du colonel mon rôle (bien modeste) dans la venue du B17. Ce dernier traduit à la famille les propos de Claude et tout ce beau monde de me serrer chaleureusement la main après m’avoir remis la médaille de ce jour exceptionnel. Vous dire que j’ai rougi serait un euphémisme. Je devais avoir une belle teinte cramoisie ! Après avoir trinqué au vin d’honneur, je me dirige vers le livre d’or mis à disposition et me laisse aller à écrire quelques mots qui me sortent tout droit du cœur : Je félicite en quelques mots la famille, les organisateurs de cette journée mémorable, me dis honoré de la médaille remise et conclue qu’avec, j’en suis sûr, l’accord unanime de l’équipage, la médaille trouvera sa place sur le tableau de bord de « the Pink Lady » … « afin que John Ramsay vole toujours » avais-je ajouté… Ce qui fut fait ! Elle s’y trouve toujours. (Vous pourrez l’apercevoir sur le bandeau du tableau de bord si d’aventure vous entrez dans le cockpit de cette merveilleuse « dame rose ».) Mais laissez-moi vous raconter comment, parfois, le hasard sait se montrer facétieux. Deux semaines plus tard, nous devions nous rendre à Strasbourg pour un énième meeting. Comme je n’avais pas eu l’heur de rencontrer mes amis et collègues les membres d’équipage depuis ce fameux 31 mai, j’avais dans la poche de ma combinaison de vol, la précieuse médaille pour la montrer à tous. Nous avons décollé d’Orly pour nous rendre en Alsace… Nous étions le 12 juin ! 53 ans après, jour pour jour après être tombé du ciel, John C. Ramsay, tout jeune pilote de l’Air Force volait de nouveau, et ce, dans un avion aux cocardes étoilées.
Reposes en Paix, John ! Même si ta vie fut trop courte, ton courage et ton sacrifice resteront gravé à jamais dans nos mémoires, comme ceux de tes frères d’arme.
P. A.
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