TRIGANA, MY LOVE...
Hi !
Il m'apparait judicieux d'élargir la réflexion à partir du crash de cet ATR.
Il convient tout d'abord de se rappeler qu'il y a une quinzaine d'années, les structures aéronautiques principales indonésiennes étaient :
- Garuda (Aigle, en Indonésien), la compagnie aérienne nationale à vocation internationale.
- Merpati (Pigeon, en Indonésien), la compagnie aérienne à vocation nationale.
- Trigana Air, à vocation de dessertes régionales
- Susi Air, à vocation régionale.
- AMA, structure catholique (Franciscains).
- MAAF, structure protestante.
- Une structure adventiste dont j'ai oublié le nom.
- Une structures américaine étudiant les langues papoues (750 identifiées en 2002, 850 en 2018).
Ainsi, Merpati opérait jusqu'en Papua (ex-Irian Jaya) aux trois aéroports de Biak, sur l'île du même nom au nord de la Papua, de Sentani, l'aéroport de Jayapura la capitale administrative au nord est de la Papua, et de Timika, l'aéroport du sud de la Papua. La desserte pouvait se faire avec des Boeing 737 sur ces pistes en dur suffisament longues et presque au niveau de la mer.
C'est à partir de ces trois plate-formes de hub (c'est un bien grand mot) que la desserte régionale pouvait se faire avec des Fokker-27 (Merpati et Trigana) et même des DHC-6 Twin-Otter (Merpati, Trigana, Susi, à destination des aérodromes de Papua. Pistes en dur pour les F-27 à Sorong, Manokwari et Nabiré.
A noter que, à Timika, la piste n'est qu'à 102 Ft, mais l'altitude de transition est à 11 000 Ft et le niveau de transition est le FL 130...
Quant à Wamena au centre de la chaine montagneuse, sa piste en dur est à 5 100 Ft entre des montagnes entourant sa plaine "touristique" (avec sa célèbre momie) et de cultures vivriaires (ex-grenier de la Papua). Je n'ai pas conservé l'altitude ni le niveau de transition, mais à seulement 18 nm au sud ouest on trouve un sommet montagneux à 15 518 Ft, le plus haut de Papua culminant à 16 600 Ft moins de 100 nm à l'ouest de Wamena.
Cet "altiport" de Wamena ne recevait pas d'avion à réaction, le volume d'évolution entre les montagnes étant trop restreint, et les performances de ces avions trop dégradées. La seule exception que j'ai connue en 2002 a été un Antonov biréacteur qui assurait une noria entre Sentani où arrivait le riz indonésien, et Wamena où il était livré. Trigana a cessé ce transport de fret lorsque l'Antonov s'est crashé en finale, les pilotes russes s'étant fait piéger par un cisaillement de vent. Et quelques temps plus tard, les Popovs qui pilotaient des Fokker-27 de Trigana sont repartis chez eux.
En matière de desserte entre terrains avec pistes non revêtues nous disposions du GMC, c'est à dire du DHC-6 Twin Otter, et lorsque la piste était pentue et courte (altisurface) nous avions le Dodge 6x6, c'est à dire le Pilatus PC-6, ainsi que la Jeep, c'est à dire le Cessna C-185.
C-185 : charge utile 400 kg. PC-6 : charge utile 900 kg. mais l'approvisionnement en Avgas 100LL s'avérant de plus en plus problématique, les C-185 ont disparus au profit de PC-7 Cessna Caravan qu'utilisait déjà MAAF, ou de nouveaux PC-6.
Il convient de s'attarder sur l'évolution concernant les "gros porteurs" de là bas, et notamment ceux de Trigana Air.
Trigana (à ma connaissance) a démarré en Papua en 2002 avec un Pilatus PC-6, puis deux, et ont commencé à faire partie du club des "pilotes tués dans le crash de leur avion" comme les autres structures aéronautiques (en décembre 2001, je suis arrivé chez AMA pour compléter le staff, mais en réalité j'ai remplacé un pilote tué dix jours avant).
J'ai pu resentir déjà la course à la rentabilité de Trigana au détriment de la sécurité. Par exemple en déchargeant PAX et fret et en rechargeant PAX et fret... turbine et hélice en marche, sur des pistouilles où la sécurité de proximité n'était pas assurée (nous étions carrément trois Pipils proches les uns des autres).
La course au tonnage a démarré dès cette année là . Parallèlement aux Pipils, on a vu apparaître des F-27 pilotés par des espèces de mercenaires russes qui ne parlaient pas l'Indonésien, et l'anglais pire que moi (ce qui n'est pas peu dire, hi, hi, hi) ! Il y avait déjà deux Transall C-160 qui étaient abandonnés dans l'herbe à Sentani après une période d'essais non concluants, ces avions ayant un excellent emport de charge utile et des performances satisfaisantes mais ne supportant pas les conditions d'exploitation locales : entretien, visites, pièces détachées (l'Europe est bien loin) et climatiques (65 à 95 % d'humidité relative en plus de la chaleur 27°C la nuit, 32°C le jour à MSL toute l'année).
J'ai déjà relaté l'arrivée et le crash du gros Antonov dont les deux réacteurs étaient sur les ailes (et non pas dessous).
Qu'apparaisse l'ATR dans la panoplie de Trigana n'est donc pas surprenant, cet avion moderne étant chargé de redorer le blason de cette compagnie et donner satisfaction à ses dirrigeants. Le problème, c'est qu'il est l'image représentative de l'arrivée au paroxisme de cette course au tonnage et à la rentabilité : on en met plus, donc ça revient moins cher.
Sauf que cet avion "de ligne", est totalement inapte - comme tous les avions semblables de sa catégorie - à opérer en bushpiloting dans les conditions géographiques et météorologiques de la Papua, et compte tenu des procédures inexistantes ou non fiables établies par les exploitants dont Trigana. Se faire une verticale terrain à Oksibil ou ailleurs puis entamer une approche aux instruments avec des moyens au sol (ILS-dme ou VOR ou même un NDB/Lctr bien placé) c'est une perte de temps et donc financière. Il convient donc de se faire des approches les plus directes possibles ou semidirectes, donc hors procédure établie. Si tant est qu'il y en ait une d'établie, car pour cela il faudrait un moyen au sol comme ceux cités à l'instant. Et à part un NDB/Lctr "dans la pampa" aux environs d'Oksibil, et qui ne fonctionnait peut-être plus ou trop faiblement (si, si, on est en Papua). Oui mais... comme cet ATR - comme tous les avions "de ligne" modernes - est équipé (fort probablement) d'une batterie de moyens informatiques genre A-320, on devrait pouvoir se faire des approches en suivant des tronçons de route entre deux points air ou/et GPS, et hop, adopté chez Trigana, il suffit de repérer les altitudes correspondantes au passage de chaque way-point et de mettre ça sur une doc refilée au pilote.
Sauf que... se faire une semi-directe main gauche à 10 - 12 nm de la piste 11 d'Oksibil, c'est l'obligation de dégringoler des 18 500 Ft d'altitude mini en route (qu'est-ce qu'il foutait déjà à 11 500 Ft si j'en croie un post précédent), en survolant perpendiculairement, notamment, des reliefs non répertoriés sur une carte (z'avaient une carte à bord ?) dont ils pouvaient soit disant se passer puisque Trigana leur avait probablement refilé la procédure papier, mais pas pour une semi-directe.
Souvenez-vous : la MEF du secteur de 60 nm de côté incluant Oksibil et Abmisibil est à 15 700 Ft. Tu descends sans voir le sol, t'es dans les nuages ? T'es mort !
Bref, la course au tonnage et au rendement, c'est toujours de la même manière que cela se termine : par un crash.
Remarquez qu'il n'y a pas plus de crashs maintenant qu'il y a une quinzaine d'années : un pilote tué tous les mois dans le crash de son avion en Indonésie, et principalement en Papua.
Non, c'est plutôt une évolution des petits avions vers les gros qui se remarque: une cinquantaine de morts à la fois, c'est plus spectaculaire et marquant...
Et désolant !
Le crash de cet ATR nous démontre que l'on a dépassé la limite du bushpiloting en Papua.
Pour ces terrains de montagne, il ne faut pas dépasser la taille d'un Twin-Otter.
La nature sait nous rappeler à l'ordre, mais est-ce que Trigana prendra conscience du message de la Montagne et de la Jungle, dans cet enfer au paradis terrestre ?
Au-dessus des nuages, il fait toujours beau !