C'est ça, rigolons, rigolons. Que dirons nous à nos petits enfants?
Le jour où des manifestations violentes ou des attentats se produiront suite aux réactions des générations qui viennent, nous rigolerons moins....
https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/10/10/chez-les-militants-pour-le-climat-un-verbe-tend-a-s-imposer-desobeir_6014896_3232.html« Chez les militants pour le climat, un verbe tend à s’imposer, “désobéir” »
Un collectif de chercheurs, qui a mené des enquêtes lors de différentes marches pour le climat, constate dans une tribune au « Monde », que les militants se radicalisent, notamment ceux de la jeune génération, mais tout en restant attachés à la non-violence.Publié hier à 03h59, mis à jour hier à 07h22
Tribune. Le temps manque. C’est désormais une certitude pour les acteurs qui participent au mouvement pour le climat en France. Fini le discours qui opposait le temps long de l’intérêt commun au court-termisme du marché : l’heure est à la pensée du délai, et celui-ci est particulièrement court. Cette nouvelle urgence a conduit dans la rue des milliers de personnes au cours des douze derniers mois. Réussissant à tenir son pari de l’endurance, au rythme d’une mobilisation par mois, le mouvement fait désormais face à un paradoxe. Sa victoire culturelle incontestable n’a donné lieu à aucune traduction politique conséquente. Dans la réduction du temps disponible, assiste-t-on à une reconfiguration des modes d’action du mouvement climat ?
Un verbe semble aujourd’hui s’imposer comme l’une des réponses à apporter : « désobéir ». Les décrochages de portraits du président de la République ou encore les actions d’Extinction Rebellion témoignent de cette disposition nouvelle à se positionner à la lisière de la loi. Pour le gouvernement, cette configuration des mobilisations pour le climat nécessite un travail de contorsion difficile à réaliser. Le consensus autour de l’enjeu écologiste conduit le président à soutenir la mobilisation des jeunes pour le climat, qui l’aurait conduit à « changer », tout en se prononçant contre la désobéissance civile, au motif « qu’il y aura toujours une bonne raison de dire : on peut faire quelque chose qui n’est pas conforme à la loi ».
« Un nombre croissant d’acteurs estime qu’il est nécessaire d’amener une masse critique de participants vers des actions de désobéissance civile »
Sur le terrain de l’action politique, cette frontière est largement inopérante. L’enchaînement des mobilisations depuis des mois produit un consensus à la fois sur la nécessité et sur l’insuffisance des marches. En plus des actions légales, un nombre croissant d’acteurs estime qu’il est nécessaire d’amener une masse critique de participants vers des actions de désobéissance civile.
La désobéissance civile constitue d’abord un prolongement logique des marches pour nombre de participants. Elle est en effet quasi unanimement acceptée dans les manifestations, selon les enquêtes que nous avons menées lors de différentes marches pour le climat. Dans la manifestation transgénérationnelle du 13 octobre, les personnes mobilisées s’accordent, à hauteur de 80 %, à soutenir les actions visant à empêcher le fonctionnement de mines de charbon. Au cours de la grève du 15 mars, les jeunes lycéens et étudiants sont 90 % à affirmer soutenir les actions de blocage d’infrastructures polluantes. Si ce résultat évoque le soutien à une action directement écologiste, il est important de noter que ce ne sont pas les seules actions soutenues.
Le 15 mars 2019, 93 % de notre échantillon de 1 036 personnes constitué à Paris, Lille, et Nancy, soutenait le blocage des universités. Il n’y a donc pas d’un côté ceux qui respectent strictement le cadre légal des manifestations et ceux qui soutiennent la désobéissance civile. Entre les grévistes du vendredi et les décrocheurs de portrait ou les militants d’Extinction Rebellion, c’est une continuité qui s’exprime, bien plus qu’une opposition. A l’inverse, la minorité qui refuse ce type d’action est essentiellement constituée de jeunes qui considèrent que le délai pour une action écologique n’est pas encore consommé.
Des différences persistent dans le rapport à la désobéissance
Toutefois, des différences persistent dans le rapport à la désobéissance. Dans l’échantillon du 15 mars 2019, si seulement 10 % déclarent participer à des actions de désobéissance, ils sont 40 % à se dire prêts à le faire et également 40 % à soutenir ce type de pratique. Ces différences s’expliquent par une forme de « disponibilité biographique », des étudiants notamment. Libérés de l’encadrement parental et sans responsabilité familiale, ils sont les plus nombreux à déclarer participer à ce type d’action, qui trouve un soutien très particulièrement appuyé chez les fils et filles issus de familles populaires, qui sont les plus enclins à défendre ces pratiques.
Au-delà des enjeux de disponibilité biographique, le passage à l’acte s’articule autour d’une forme de radicalité politique. Les désobéissants considèrent plus fréquemment que la transition écologique ne peut être réalisée à l’intérieur du système capitaliste. Chez ceux qui ont pratiqué le blocage ou sont prêts à le faire, ils sont 88 % à être d’accord avec l’idée qu’il est nécessaire de rompre avec ce système. Ce taux « d’anticapitalisme » diminue à 78 % pour ceux qui soutiennent ces modes d’action, et à 52 % pour ceux qui ne font pas. Dépassant l’opposition entre forme et fond, le mode d’action pratiqué et soutenu est ainsi intimement lié à la conception du changement souhaité.
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Pour autant, cette volonté d’un changement systémique ne traduit pas une inconsistance sur le plan individuel. Si les « anticapitalistes » sont les moins enclins à considérer que « le réchauffement climatique est avant tout la conséquence de mauvais choix individuels », cette radicalité politique s’exprime aussi pourtant, presque paradoxalement, par des actions individuelles. En effet, ceux qui pratiquent la désobéissance civile ou sont prêts à le faire sont plus enclins à faire évoluer leur mode de vie. Paradoxe en apparence, ceux qui soutiennent l’idée que des changements individuels sont au cœur de la transition écologique sont finalement les moins enclins à pratiquer la « réforme de soi » sur les questions de consommation ou de transport.
Refus de la violence politique
Au-delà d’un mode d’action collectif, la désobéissance civile est donc une éthique qui se déploie conjointement à d’autres modalités de défense de l’écologie. Entre ceux qui la pratiquent et ceux qui la soutiennent, elle permet d’agréger des positionnements idéologiques divers, en partie grâce au refus de la violence politique. La désobéissance possède pourtant sa zone d’indécision. Le 15 mars 2019, chez les jeunes qui participent ou souhaiteraient participer aux actions de désobéissance, ils sont autant à soutenir les actions écologiques qui nécessiteraient de causer des dégâts matériels qu’à les condamner. Loin de constituer une montée en puissance incontrôlée de la radicalisation, ces dispositions restent largement encadrées par une conception stricte de la non-violence.
Ainsi, face à l’inaction gouvernementale, la désobéissance civile interroge ses propres frontières. Dans un contexte marqué par la condamnation des violences au sein de la manifestation du 21 septembre 2019, le mouvement reste confronté à la nécessaire symbolisation de sa détermination… sans pour l’instant trouver une voie qui fasse consensus.