Il y a cent ans, le
lieutenant de vaisseau Paul Teste devenait le premier français à apponter sur un navire.
Le biplan Hanriot du lieutenant de vaisseau Teste se présente pour la première fois à
l'appontage sur la plate-forme en bois de 45 m de longueur aménagée à l'arrière de la
coque inachevée du cuirassé Béarn, mouillé en rade de Toulon, le 20 octobre 1920En matière d’aviation embarquée, les États-Unis prirent rapidement de l’avance, grâce au rôle majeur que tint le commandant Washington Irving Chambers et à l’audace de l’aviateur Eugene Ely. En novembre 1910, ce dernier réussit un premier exploit en décollant depuis une plateforme de 25,30 mètres de long installée à bord du croiseur léger USS Birmingham, alors au mouillage à Norfolk [Virginie].
Puis, deux mois plus tard, il en accomplit un deuxième, en parvenant à poser son Curtis modèle D IV sur l’USS Pennsylvania, en employant pour la première fois une crosse d’appontage, sur une plateforme en bois de 36,60 mètres de long, installée pour l’occasion au-dessus de la poupe et de la tourelle arrière du navire. Mais il n’en resta pas là puisqu’il décolla dans la foulée pour rejoindre la terre ferme.
Pour autant, ce procédé tarda à se concrétiser, la priorité allant, à l’époque, aux hydravions, dont l’usage paraissait alors beaucoup plus sûr. Mais les exploits d’Eugene Ely donnèrent des idées à… la Royal Navy, qui fut la première à lancer un navire conçu pour mettre en oeuvre des « aéroplanes », avec le HMS Argus.
Ce bâtiment de 18.000 tonnes, mis en service en septembre 1918, pouvait emporter une quinzaine d’appareils, dont des Sopwith Camel et des bombardiers-torpilleurs Sopwith Cuckoo. Il sera démantelé en 1946, après avoir participé à plusieurs opérations lors de la Seconde Guerre Mondiale, dont le débarquement allié en Afrique du Nord. Mais le premier porte-avions britannique construit en tant que tel fut le HMS Hermes, dont la construction avait débuté en janvier 1918.
Le Japon ne tarda pas à suivre, en lançant, en décembre 1920, la construction du Hōshō [Phoenix volant], un navire pouvant emporter une vingtaine d’appareils. Il fut mis en service deux ans plus tard, presqu’au même moment que l’USS Langley, le premier porte-avions de l’US Navy, à bord duquel le capitaine de corvette Godfrey de Courcelles Chevalier réalisa quelques exploits avec son avion Aeromarine 39B.
Et en France? La Marine nationale s’intéressa très tôt aux possibilités que pouvait lui apporter l’aviation. En avril 1910, le vice-amiral Boué de Layrère mit en place un comité pour en étudier les applications possibles. Et le Service de l’aviation maritime fut créé le 20 mars 1912, avec la transformation du croiseur « Foudre » en porte-hydravions, avec l’installation d’une plateforme de 10 mètres de long. Mais ce fut qu’en mai 1914 que l’avionneur René Caudron réussit un premier décollage depuis ce navire, avec un Caudron de type J.
Durant la Première Guerre Mondiale, l’aviation navale française pris une ampleur considérable. À la fin du conflit, selon des chiffres avancés par Robert Feuilloy et Lucien Morareau [*], elle comptera 11.000 marins, dont 750 pilotes [contre seulement 26 en 1914] ainsi que 700 hydravions [14 avant la guerre], 37 dirigeables et 200 ballons captifs.
« Entre-temps, en complément de ses missions d’éclairage des escadres et de patrouille en mer, elle a engagé, dès 1914, une partie de ses forces au sein des escadrilles de l’aéronautique militaire, puis s’est lancée en 1916 dans la lutte contre les sous-marins allemands. Elle aura reçu plus de 3.000 avions pendant les années de guerre et formé 1.500 pilotes et observateurs; 195 d’entre eux sont morts en service aérien commandé », résument-ils.
Cela étant, le concept de porte-avions avait commencé à faire son chemin au sein de la « Royale » bien avant la fin de la guerre, sous l’impulsion du capitaine de Frégate de L’escaille. Et, le 26 octobre 1918, le lieutenant de vaisseau Georges Guierre réédita l’exploit d’Eugene Ely en s’envolant depuis une petite passerelle montée sur la tourelle avant du cuirassé Paris, à bord d’un avion de chasse Hanriot HD.2 avant de se poser à Saint-Raphaël. Fraîchement promu lieutenant de vaisseau, Paul Teste s’y essaya à son tour un mois plus tard… Mais sans succès.
Né le 2 octobre 1892 à Lorient dans une famille de militaires, Paul Teste a seulement 17 ans quand il intégre l’École navale. Enseigne de 1re classe à la déclaration de guerre, il demande à affecté au sein de l’aviation maritime alors qu’il prend part aux opérations en Méditerranée. Il devient observateur sur hydravion en 1917, aux escadrilles B101 et B102, alors stationnées à Dunkerque.
Lors d’une patrouille anti-sous-marine en mer du Nord, son appareil ayant été contraint à l’amerrissage après avoir été pris en chasse par des avions allemands, il est fait prisonnier et interné à Karlsruhe, avant d’être transféré au camp disciplinaire de Magdebourg, après une tentative d’évasion ratée. Cependant, il en faut plus pour décourager le jeune officier : il finit par réussir à s’évader et à rejoindre la France en janvier 1918.
Cité à l’ordre de l’Armée navale pour avoir montré une « bravoure et d’un dévouement au dessus de tout éloge » et « donné des preuves magnifiques du plus absolu mépris du danger et du plus noble esprit de sacrifice », Puis Paul Teste réintègre naturellement l’aviation maritime et obtient son brevet de pilote en mai 1918, à Fréjus. Puis il est nommé à la tête des avions de l’Aviation d’escadre à Saint-Raphaël en novembre. L’échec de son décollage depuis le cuirassé Paris est loin de le décourager.
Chargé d’étudier et de mettre au point les techniques nécessaires à la mise en oeuvre d’avions depuis des navires, l’officier fait construire une plateforme cimentée munie de câbles lestés par des sacs de sables. Puis il fait également installer un crochet à l’arrière d’un train d’atterrissage d’un Nieuport XVII. Seulement, les essais qu’il ménera ne seront pas concluants : Paul Teste manque même d’y laisser la vie. Mais les échecs sont faits pour être dépassés. Et, après des modifications, notamment au niveau de la position du crochet, il réussit à accrocher un des câbles de la piste et à immobiliser son appareil sur une trentaine de mètres. Restait alors à tester ce principe sur un bateau. Ce qui sera bientôt possible.
Dans un premier temps, l’aviso Bapaume est transformé pour permettre de former les marins-pilotes au décollage. Puis, inspirée par le HMS Argus britannique, la Marine décide de faire de la coque du cuirassé Béarn, alors inachevé, un porte-avions. Le lancement du navire a lieu le 15 avril 1920, à la Seyne-sur-Mer. Le lieutenant de vaisseau Teste allait pouvoir tester la solution qu’il venait de mettre au point.
C’est ainsi que, le 20 octobre de cette année-là, le lieutenant de vaisseau Paul Teste devint le premier aviateur français à effectuer un appontage, avec prise de brin d’arrêt, sur un navire, ouvrant ainsi la voie à l’aviation embarquée moderne.« Officier de la Légion d’Honneur à 28 ans, capitaine de corvette à 30 ans, capitaine de frégate trois ans plus tard, Teste s’employa à former une phalange de pilotes d’élite. Il exerça par ailleurs toute sa compétence dans la Section d’étude de l’
aéronautique maritime comme à l’état-major du ministre. Regardant vers l’avenir, il songeait à la réalisation de projets dont l’importance ne pouvait échapper à personne », résume un article paru en 1965 dans Cols Bleus.
Ardent défenseur du porte-avions, Paul Teste préparait un raid sans escale entre Paris et Karachi quand son destin prit tragiquement fin, le prototype Amiot 120 qu’il devait essayer s’étant écrasé au décollage à Villacoublay, le 12 juin 1925. Il sera promu capitaine de frégate à titre posthume et son nom sera donné à transport d’hydravions en 1929.
[*] L’Aéronautique maritime dans la Grande Guerre – Robert Feuilloy et Lucien Morareau – Éditions de l’Ardhan