JEAN MERMOZ
(9 décembre 1901 - 7 décembre 1936)
2 août 1936. Jean Mermoz n'a plus que quelques mois à vivre, lorsqu'il apprend la terrible nouvelle. Son ami Gaston Génin, Roger Savarit et Albert Aubert viennent de s'écraser dans le Tarn, près de Mazamet, sur la Montagne noire. Mermoz, commandeur de la Légion d'honneur à 32 ans, ne laisse à personne le soin, la difficulté et la douleur de retrouver les corps. L'expédition parvient sur les lieux de la tragédie. On n'a que deux brancards. Alors, Jean Mermoz, en cet instant recueilli, soulève la dépouille de Génin, la dépose sur une bâche puis la hisse sur ses épaules. Dans la longue descente vers la vallée, Mermoz et Génin, une fois encore, la dernière, ne font qu'un. L'esprit de corps de la Ligne. On pense à ce mot de Jean Mermoz: \"L'accident, pour nous, c'est de mourir de maladie\".
Avant de disparaître à 34 ans, 11 mois et 28 jours, sur le Latécoère 300 Croix-du-Sud, un hydravion de 44m d'envergure à moteurs Hispano-Suiza, immatriculé F-AKGF, en compagnie d'Alexandre Pichodou, pilote en second, Jean Lavidalie, mécanicien, Henri Ezan, navigateur, Edgar Cruveilher, radio, avant d'être englouti avec cet équipage, amenant le cri de Guillaumet : \"Eux ils ont eu de la chance, ils sont morts avec Mermoz\", celui qu'on a surnommé \"l'archange\" a fait quelques miracles. Pourtant, il n'était pas un saint. Témoignage du plus joyeux des pilotes, Marcel Reine : \"La foirinette, bien sûr, il aimait ça [...] Les bêtises, il n'en avait pas peur. Mais je ne sais pas, moi il était tout de même meilleur que nous. Il s'enfermait chez lui. Il pensait. Il bouquinait des vers. Il était sérieux quoi!\"
Dans cette epopée de la Ligne, où les héros sont des facteurs, où la quête du Graal consiste à pouvoir distribuer le courrier quatre jours et demi après qu'il ait quitté Paris, Jean Mermoz multiplie les prouesses, porté par la beauté de l'aviation et par la fraternité des hommes. À ses côtés, l'exploit devient quotidien. Et parfois c'est un miracle.
Sur cette photo on peut apercevoir Jean MERMOZ (à gauche de la photo) et René COUZINET (au milieu) devant un trimoteur Couzinet.
En 1928, dans un nightclub de Buenos Aires, probablement sur fond de tango, Jean Mermoz, chef pilote de l'Aéropostale, propose au directeur général Julien Prainville un vol direct de 2500 km, de Rio de Janeiro à Montevideo. Et précise : \"Je volerai de nuit\". Pranville en reste abasourdi. Mermoz s'envole dans la nuit du 16 au 17 avril 1928, se pose à Santos, puis à Montevideo et à Pacheco, aux terrains délimités par trois feux d'essence. Il a réussi. Jean Mermoz et sa lumière intérieure ont vaincu les ténèbres.
\"Avec Mermoz, on espère\", affirmait Collenot, son fidèle mécanicien. Il le faut, parce qu'avec lui c'est la grande aventure. Une panne et il se pose sur une plage pour réparer lorsque des lépreux surgissent, encerclent l'équipage, persuadés qu'ils guériront s'ils parviennent à frotter leur peau crucifiée à celle des aviateurs. Ils s'échappent. Une autre panne, le long de l'Uruguay. Soupçonnés d'être des espions, ils manquent d'être fusillés par un commandant de garnison trop zélé. Deux fuites se déclarent sur l'Arc-en-ciel, qui revient sur Dakar. On colmate comme on peut, on ajoute 120 l d'huile. Ça ne suffit pas : on utilise de l'urine et toutes les bouteilles de champagne apportées pour fêter la victoire. Ils sont 8000 à les attendre au terrain de Ouakam, la moitié de la population de Dakar!
En mars 1929, au comble de l'exalation, du défi et de la volonté, ils n'iront jamais plus haut, jamais plus loin. Jean Mermoz livre bataille à la cordillère des Andes. Joseph Kessel écrira : \"Aucun homme autant que celui-ci n'a été attiré par la route céleste\". Le 2 mars, Mermoz, Collenot et le compte Henri de la Vaulx, président de la Fédération aéronautique internationale, décollent de Bahia sur un Laté 25. Objectif : étudier le parcours jusqu'à Concepción. Brusquement, la panne, carburateur obstrué. Memoz pose l'avion sur une plate-forme de 300 m de long et de 6 m de large. Mais le Laté, entraîné par son poids, continue sa course. Alors, Mermoz saute de la carlingue, s'adosse à une roue de l'appareil et s'arc-boute. Il parvient à stopper les 3 t de métal. Il ne faut qu'une heure et demie à Collenot pour réparer. Puis Mermoz lance le zinc dans le vide et se pose à Santiago du Chili pour une fête immense. Une semaine plus tard, le 9 mars, Mermoz et Collenot décollent de Copiaco. Mermoz cherche un passage parmi les sommets hauts de 6000 m et 7000 m. Soudain, une trouée à 4500 m. C'est encore trop haut : le Laté 25 à moteur Renault de 450 ch culmine à 4200 m. Mermoz decide d'utiliser les courants ascendants. La quatrième tentative est la bonne, le laté est passé, mais la joie est de courte durée : englué dans les courant descendants, il devient vite incontrôlable. Mermoz le pose comme il peut, l'avion rebondit, tressaute, retombe...
Train faussé, béquille arrachée, pneu éclaté, fuselage brisé, moteur touché, empennage endommagé. Il fait -15ºC, ils n'ont ni vêtements chauds, ni nourriture, ils partent à pied. Il leur faut une heure pour parcourir 400m. Mermoz se ravise : \"Il faut réparer le taxi\". Collenot le regarde, incrédule. Ils travaillent la nuit entière. Au matin, Collenot saigne du nez et des oreilles : le mal des montagnes. Encore une nuit de travail. Quand le jour se lève, le moteur tourne mais les canalisations ont gelé, elles éclatent. Ils colmatent. Puis Mermoz imagine comment décoller. Une seule solution, mais elle est folle : se lancer dans la pente et rebondir sur les trois plate-formes successives qui se trouvent dans le prolongement de celle-ci. Mermoz prend ses repères, l'élan est insuffisant. Ils mettent huit heures à hisser les 2 t de l'avion, delesté de tout ce qui n'est pas strictement nécessaire, le plus haut possible, en le déplaçant en crabe ! Ils n'ont pas manger depuis cinquante heures... L'avion est face à la pente, Mermoz lance le moteur les tubulures éclatent à nouveau. Il déchire sa veste de cuir et colmate encore. L'avion roule maintenant - Collenot ferme les yeux - il rebondit sur chaque plateforme au mètre près puis file dans le vide. Mermoz redresse, frôle la montagne et rejoint Copiapo. Lorsqu'il se pose, Collenot s'est endormi tranquillement. C'est le miracle des Andes. un mois plus tard, une caravane ramènera du plateau des Trois-Condors, un cric, une banquette, un réservoir d'essence. Alors seulement on admettra sans réserve l'invraisemblable, car jamais la Cordillère n'avait rendu ses prisonniers.
Le 12 mais 1930 c'est le jour inoubliable de l'Aéropostale. Mermoz, pilote, Jean Dabry, navigateur, et Léo Gimié, radio, franchissent l'Atlantique Sur sur un Laté 28 à flotteurs, porteur de 130 km de courrier. Ils ont triomphé du pot au noir, apporté la preuve que l'Europe, l'Afrique et l'Amérique peuvent être reliées. Ils sont épuisés. Ils apprenent aussitôt que l'avion amenant Julien Pranville s'est perdu. À bord ils étaient cinq, trois de l'aéropostale et deux passagers, à qui ceux de la Ligne, avec un héroïsme tranquille, ont donné les deux bouées de sauvetage. Mermoz, Dabry et Gimié fuient la fête oficielle, trouvent refuge dans une cabane en planches habitée par un ancien bagnard. Celui-ci place un 78 tours sur un Gramophone, son unique fortune et , tandis que retentissent les premières mesures de la Marseillaise, il hisse les couleurs au mât qu'il a taillé à la machette. Le 7 décembre 1936, le soixante-douzième courrier sur l'Atlantique Sud n'arrivera jamais à destination. La Croix-du-Sud, partie de Dakar, disparaît en mer avec son équipage. Les recherches restent vaines. Le faiseur de miracles n'est plus.
Mermoz l'avait bien confié lui-même à Joseph Kessel : \"Tu sais, je voudrais ne jamais descendre\".
La Croix-du-Sud :
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Source : Magazine Air France nº56