« La mort de la maîtrise du pilotage » : l'alerte d'un chercheur américain depuis ToulouseFlorine Galéron
La moitié des pilotes prendront leur retraite dans les quinze prochaines années aux Etats-Unis et les équipages doivent faire face à des modes de pilotage automatique de plus en plus complexes. De quoi craindre une baisse drastique d'expertise dans les cockpits, a alerté Randy Mumaw, chercheur ayant travaillé 18 ans chez Boeing, lors de la conférence ICCAS organisée à Toulouse. Pour y remédier, le scientifique mise sur l'ingénierie cognitive pour créer notamment des nouveaux designs d'alertes en cas d'urgence.
La moitié des pilotes prendront leur retraite dans les quinze prochaines années aux Etats-Unis. (Crédits : Navblue)
Le papy boom va engendrer une profonde transformation dans les cockpits des avions dans la décennie à venir...
« Selon un rapport du gouvernement américain, 42% des pilotes aux États-Unis ont 55 ans ou plus. Nous allons perdre, dans les 10 à 15 prochaines années, beaucoup de ces pilotes qui vont prendre leur retraite et une grande partie de leur expertise va disparaître. Sans compter qu'avec la pandémie, les réductions d'effectifs ont déjà entraîné le départ d'un certain volume de pilotes expérimentés. D'où la nécessité de s'interroger sur la disparition de l'"airmanship", autrement des compétences de pilotage », a alerté Randy Mumaw le 17 mai dernier, à l'occasion de la conférence internationale ICCAS organisée dans les murs de l'Isae-Supaero à Toulouse et consacrée notamment à l'arrivée d'assistants virtuels de pilotage pour les cockpits du futur.
Associé de recherche principal à l'université d'État de San Jose, Randy Mumaw travaille au laboratoire d'Ames Research Center de la NASA après avoir exercé pendant 18 ans au sein du service de sécurité de Boeing.
Les pilotes face à une jungle de messages d'alertePour ce psychologue, l'ingénierie cognitive est l'une des pistes pour remplacer, ou du moins maintenir, le niveau d'expertise à bord des avions. Qui plus est dans un contexte où les pilotes doivent faire face à des systèmes avioniques de plus en plus complexes à analyser à bord des avions.
« Par exemple, en 2010, lors de l'accident d'avion survenu sur un A380 assurant le vol Qantas 32 entre Singapour et Sydney, un moteur a explosé quatre minutes après le décollage. Les pilotes ont reçu 43 messages d'alerte dans la minute suivante et un total de 86 messages pendant les 36 minutes suivant l'accident. Dans cette liste impressionnante étaient mélangées des informations très importantes et d'autres plus anecdotiques. Si bien que les pilotes ont mis plus d'une heure à comprendre que le problème venait d'un moteur et ont perdu du temps avant de prendre la décision d'atterrir », note Randy Mumaw.
Partant de cet exemple, les équipes du psychologue ont dévoilé, en 2018, un nouveau prototype d'affichage de messages d'alertes permettant à l'équipage d'identifier plus facilement la source de l'accident. Ils ont développé une interface regroupant les alertes par catégories (électricité, hydraulique, risque d'incendie...) et matérialisé de manière simple les lieux d'atterrissage les plus accessibles ainsi que les étapes restants à réaliser avant de poser l'avion.
Face à la myriade d'alertes reçues par les pilotes en cas d'urgence, les chercheurs développent des affichages simplifiés des alertes. (Crédits : Randy Mumaw)
Gérer la complexité des modes de pilotage automatiquePar ailleurs, le chercheur américain s'est attaqué à l'affichage des modes de pilotage automatique, devenus de plus en plus nombreux et complexes à interpréter par les pilotes : « L'interface du pilote automatique a très peu évolué de son design originel initié au début des années 1980. Et pourtant, si vous lisez les rapports d'accident, j'ai une liste d'une quarantaine d'accidents qui trouvent leur origine dans des confusions entre les modes de pilote automatique », relève-t-il.
Pour autant, l'expert a remarqué, lors de son passage à Boeing, que si les idées ne manquent pas pour améliorer le design des cockpits, les constructeurs préfèrent garder le design originel, de peur d'engendrer des heures de formation, des coûts de fabrication des nouvelles pièces et une certification additionnelle pour ces nouveaux outils. Son équipe a donc eu l'idée de développer un écran additionnel permettant d'afficher de manière plus ergonomique, par exemple les prochaines altitudes ciblées par l'avion.
A Toulouse aussi, les chercheurs travaillent sur de nouveaux outils de pointe pour faciliter le travail des pilotes. Depuis deux ans, des chercheurs de l'Enac et de l'Isae-Supaero planchent, à travers le projet européen Haiku, à la création d'un assistant nommé Focus (Flight Operational Companion for Unexpected Situations) pour aider à mieux réagir face à un événement inattendu et gérer l'effet de saut associé. Cet assistant virtuel va aider le pilote à reprendre ses esprits via une pulsation de lumière verte pour l'inciter à respirer suivant les principes de la cohérence cardiaque et en parallèle, l'assistant virtuel va pointer les zones du cockpit à regarder en priorité pour atterrir en urgence.
Ces assistants virtuels pourraient devenir de plus en plus nécessaires dans les cockpits du futur.
« L'automatisation soulage la charge de travail des pilotes et réduit leur fatigue. Mais elle peut entraîner une érosion des compétences en mode manuel et une confiance excessive dans les automatismes alors que les pilotes sont relégués au rang de superviseurs. Par ailleurs, il existe un grand nombre de modes dans le pilotage automatique et l'équipage ne les connaît pas tous, ce qui peut générer de la confusion dans des situations d'urgence », conclut Mickaël Causse, chercheur en neurosciences à l'Isae-Supaero..