Frères et faux-frères ?
Pourquoi certains avions se ressemblent-ils ?
Rares sont les avions qui n’ont pas un faux jumeau, un alter ego qui leur ressemble. Le postulat est que l’homme n’a rien inventé, il n’a fait que copier : Otto Lilienthal et Clément Ader ont reconstitué l’aile de l’oiseau et l’ont adaptée au vol humain. Les frères Wright l’ont perfectionnée et motorisée. Dès lors, les paris étaient ouverts sur l’avenir, l’aviation venait de naître. Le reste a suivi…
Le progrès agit en boucle. L’outil existant, le besoin se crée… qui va faire évoluer l’outil, lequel est repris par d’autres constructeurs. Les mêmes causes générant les mêmes effets, ceux-ci génèrent de nouvelles causes lesquelles, à l’épreuve de l’expérimentation, conduisent aux mêmes conclusions. L’illustration en est fournie par les planeurs de compétition qui, allant au bout des lois de l’aérodynamique, finissent par tous se confondre.
Le dernier conflit mondial a montré cette théorie du « toujours plus » où l’on a pu voir chacun des belligérants chercher à mettre en vol l’appareil le plus performant en faisant avec… ce qu’il avait sous la main : le moteur. Pour illustrer cette notion d’équivalence, imaginons plusieurs bureaux d’études auxquels on confie le cahier de charges suivant : transporter cinquante passagers et 1.800 kg de fret sur des étapes de 1.600 km. On aura pour résultat : l’ATR-42, l’Antonov 30, le Fokker 50, le CASA... et d’autres encore car l’émulation joue ainsi que les lois de l’aérodynamique… C’est pourquoi le Tu 144 ressemble comme un frère au Concorde. Il y a donc des familles d’avions, avec des frères jumeaux (VC 10 et Il 62) et des « faux-jumeaux » (B-727 et Tu 154). Dans le premier cas les silhouettes se confondent, dans le second les formules (triréacteur) sont identiques.
Mêmes besoins, mêmes moyens, mêmes résultats.
Je ne cherche pas à démontrer que les avions se ressemblent parce que les constructeurs se sont copiés mais qu’ils se ressemblent parce qu’ils répondent à de mêmes nécessités d’usage (Me 110 et Potez 630), de charge (C 5A Galaxy et An 124), de programme (An 12 et C 130). Il arrive qu’ils se ressemblent et ça n’est pas fortuit lorsqu’il s’agit d’une originalité ou d’une innovation (C 119 et Nord 2501). Le cas le plus flagrant est celui de Douglas qui a sorti le DC-9 deux ans après que la Caravelle ait été présentée au public. Auparavant, Tupolev avait reconstitué le Comet avec le Tu 104 (réacteurs noyés dans l’aile). Plus tard Douglas encore a présenté le DC-8 alors que le B-707 de PanAm venait d’être mis en service commercial et ce sont les Russes qui ont sorti l’Il-86, mauvaise copie du B-707. Douglas sortant le DC-10, c’est Lockheed qui a joué les copieurs en présentant le L-1011 Tristar. Les exemples sont si nombreux que quatre pages ne suffiraient pas pour les citer tous. Certes, les spotters avertis – et richement équipés – ne se laissent pas surprendre mais pour le public dont je fais partie, certaines confusions sont en partie excusables. Habitant non loin de l’axe de la piste 08/26 d’Orly, j’ai le souvenir de la silhouette du Mercure que je confondais avec celle du 737-100. Je distinguais le DC-8 du B-707 à l’oreille plus qu’à sa silhouette. Et c’est encore à l’oreille que je distingue aujourd’hui le B-777 de l’A 321 car, de profil, leurs silhouettes offrent des analogies (à moins de se trouver tout près, il suffit alors de compter les roues ou d’estimer le diamètre du fan).
A contrario, il y a ceux qui ne possèdent pas d’alter ego, ceux qu’on ne peut confondre tels le Fieseler Storch avec ses longues pattes ou l’An 225 par ses six réacteurs, le Beluga sur le point d’accoucher ou le 747 avec sa bulle sur le front, l’Antonov 74 avec ses deux réacteurs sur l’aile. Sans parler de la série des Orlyonok, trop caractéristiques pour prêter à confusion (On ne prête qu’aux riches, n'est-ce pas, on leur prête même de bonnes intentions).
Les pinailleurs me diront que chaque avion est unique, ce dont je conviens, mais qui d’entre nous n’a jamais confondu un jour le Tu 204 avec un B 767 ? Un Viscount avec un Lockheed Electra ? Un Beriev 21 avec un Mariner ? Un Falcon 500 avec un Yak 42 ?
Je propose donc d’ouvrir le jeu des ressemblances et de l’appeler « Frères et faux-frères ».