Je reproduis ici un extrait que je trouve particulièrement intéressant du
rapport final de l'enquête (photocopie difficile à lire), le récit détaillé de la fin du vol.
Passionnant, je trouve que cela se lit "comme un roman"...
A partir de la page 3 (PDF) du rapport :
Citation:
LE VOL DE ROME JUSQU’À LA PERTE DU MOTEUR 3
Le point fixe eu départ de Rome est satisfaisant. C’est encore M. Terry qui exécute le décollage; il garde les commandes Jusqu’à Athènes et les passe ensuite au copilote Steens, qui conserve sa place.
L'appareil survole Rhodes, Ã la verticale, Ã 1h57 TU et signale sa position par radio.
2h06 :
Alors que l’avion est à l’altitude de 17.500 pieds, de très légères vibrations sont perçues par l’équipage mais ne peuvent être localisées; le premier mécanicien Lemaitre qui est au pupitre témoigne: « Contrôle des Instruments R. A. S. ».
Les vibrations sont si faibles que le second pilote alors aux commandes précise lors de son audition « qu’il laisse le pilote automatique enclenché ».
Trois minutes plus tard, le mécanicien constate une baisse de « fuel-flow » de 40 points au moteur 3. Pensant au givrage, il passe l'hélice sur pas fixe et fait une injection d’alcool. Le « fuel-flow » remonte à sa valeur normale de 570 mais les vibrations persistent, sans toutefois s’amplifier.
Après quelques instants, le mécanicien remarque que le « fuel-flow » oscille entre 570 et 620, et que les indications de BMEP battent plus fortement ; il ne perçoit pas cependant de désynchronisation, les températures et pressions d’admission restent normales. N'ayant plus que 80 US gallons dans chacun des réservoirs 2A et 3A, 11 passe sur réservoirs principaux 2 et 3.
2h10 :
Les oscillations de « fuel-low » et de BMEP persistent, un choc violent est entendu. Le commandant de bord qui se reposait est averti; il reprend les commandes et débraye le pilote automatique; de très fortes vibrations se produisant et l’avion s'inclinant sur la droite, il rétablit une assiette correcte après une perte d’altitude brutale d’environ 1.000 pieds.
Au moment du choc, une explosion a eu lieu, suivie d’un souffle (dépressurisation brutale) qui a été tout particulièrement ressenti par le second mécanicien, allongé au poste de repos de l’équipage.
Il s’est précipité à l’avant, alors que le premier mécanicien, qui avait vu le compte-tours du moteur 3 tomber à zéro, actionnait la commande de mise en drapeau et fermait le robinet coupe feu.
A la demande du mécanicien Lemaitre : « Regarde par le hublot le moteur 3 », le second mécanicien précisait et confirmait: « Plus de moteur 3 » (Le commandant de bord, à la demande des mécaniciens, avait allumé les phares de plan).
LE VOL APRÈS LA PERTE DU MOTEUR 3
Les vibrations s’amplifient, le maintien de l'appareil en ligne de vol s'avère difficile et une descente de 300 à 500 pieds-minute est enregistrée par l'équipage.
2h13 :
Craignant une dislocation de la cellule, le premier pilote ordonne au radio M. Deblais de lancer le signal S. O. S. en lui transmettant la position estimée.
Le message suivant est adressé en graphie, sur la fréquence de 3 481,5 kcs, le radio n'ayant plus de contrôle de modulation.
Il était jusqu’alors en relation avec Athènes en phonie H. F. sur 3 062,5 kcs). Beyrouth accuse réception.
"S. 0. S. de F. BAZS — QAF Rhodes 1 h. 57 Z — ETA — F. 7 2 h. 20 — Essayons de rejoindre Nicosia — Plus de moteur à gauche A. S. — " (1).
(1) S. O. S. de F. BAZS: Verticale Rhodes 1 h. 57 Z. — Heure estimée d'arrivée. — Longitude 30° E 2 h. 20. — Essayons rejoindre Nicosia. — Plus de moteur à gauche. — Attendez.
Nota. — La transmission « plus de moteur à gauche » résulte d'une erreur d’interprétation de la part du radio d’une phrase prononcée par le mécanicien. En fait, c’est le moteur intérieur droit qui était parti.
2h14 :
Le mécanicien Lemaitre constatant l’aggravation des vibrations et craignant que le départ du GMP n°3 ait pu créer des avaries au GMP n°4 demande l'autorisation au commandant de bord de stopper celui-ci.
La mise en drapeau étant effectuée, l'équipage espère une diminution notable des vibrations; Il n'en est rien : le moteur n°4 ne paraît donc pas devoir être mis en cause et le commandant da bord décide de le remettre en route.
Le mécanicien exécute les opérations nécessaires, dévire l’hélice, mais constate, en manœuvrant la manette de mélange, que celle-ci est « folle ».
L'équipage remet l’hélice du moteur n°4 en drapeau; le contact de ce moteur est coupé, ainsi que le robinet coupe-feu correspondant.
L’avion qui tenait jusqu'alors le cap 112° dans l’intention de rejoindre Nicosia, est mis au cap 015°, en vue d'atteindre Rhodes. Le taux de descente s'accroît et le vario indique 800 à 1.000 pieds minute. L’altitude est alors de 12.500 pieds environ, la vitesse lue au badin de 145 nœuds.
2h15 :
Le commandant de bord ayant prévenu le radio que l’avion ne pouvait atteindre Nicosia, un autre message est émis.
"QAC Rhodes — puis, Nous posons le long de la cote" (2).
(2) Faisons demi-tour vers Rhodes. puis nous posons le long e la côte.
2h17 :
L’altitude est alors do 9.000 pieds. Les vibrations sont telles que la génératrice du moteur n°1 décroche constamment, la seule génératrice qui fonctionne normalement est celle du moteur n°2: elle débite 900 ampères.
En conséquence, l’alimentation des services électriques non indispensables est coupée.
Il fait encore nuit. Étant donné l’insuffisance de visibilité et la présence du relief particulièrement accidenté, la recherche d’une position atterrissable de fortune est impossible. Le commandant de bord apercevant un phare décide de se rapprocher le plus possible de la cote, donne l'ordre au personnel de conduite de faire endosser les gilets de sauvetage et de se préparer pour un amerrissage.
La côte présentant un cap laissant espérer l’absence de récifs (cap Karloglu [?]), le pilote s’en approche et annonce à l’équipage: « Amérissage dans quatre minutes ».
A proximité de ce promontoire, le commandant de bord se rend compte que les parois de celui-ci sont trop abruptes pour permettre aux rescapés d’aborder dans les meilleures conditions; il augmente la puissance sur les deux moteurs bâbord afin d’amerrir près d’une pointe voisine distante de 5 NM environ.
2h22 :
Avec l'accord du commandant de bord, la radio transmet lo dernier message :
S. 0. S. F. BAZS — NW — QTII — Cap Kartoglu — (3).
(3) S. O. S. F. BAZS. — Position Nord-Ouest. — Cap Kartoglu [?].
Cette émission dure 3 minutes.
L’altitude par le travers du cap Kartoglu est de 2.000 pieds environ, le taux de descente est de 1.000 pieds-minute; l'amplitude de la violence des vibrations font craindre au pilote une rupture totale imminente de la cellule.
La porte d’embarquement des passagers, conformément aux consignes, est ouverte; elle sera déformée après l’amerrissage et ne pourra être qu'entrebaillée.
L’AMERRISSAGE
2h28 :
Afin de se rapprocher au maximum du phare, le commandant prend le risque de mettre les moteurs gauche à pleine puissance (60 pouces de l’admission) ; puis il réduit à fond et pose l’avion sans volets.
Le premier mécanicien coupe les moteurs 1 et 2 et tire les coupe-feu.
A l’arrondi, la vitesse est de 125 NM [sic], l’appareil est maintenu très cabré à 3 mètres de la surface jusqu’au contact. L’efficacité des commandes est bonne en profondeur, médiocre en direction, faible en roulis.
La queue de l’appareil prend contact la première; malgré une mer calme et un amerrissage bien exécuté, une vague fait remonter l'avion, qui retombe sans s’engager sous l’eau, i1 bascule très doucement vers l’avant, l'intrados de l’aile touche, le freinage est progressif et rapide; l’appareil s’immobilise en virant très légèrement sur la gauche; c’est à ce moment que la tête du copilote heurte la boite de commande VHF et qu’il est légèrement blessé; le steward Hazzra a un bras cassé; le second mécanicien souffre de contusions multiples; tous les autres occupants sont indemnes.
Le lieu de l'amerrissage est à 2 NM environ de la côte et du phare.
Après l'amerrissage, l'appareil flotte 2 heures environ et coule ensuite; la queue de l’avion se rompt 10 minutes après l’impact, en arrière de la porte d’embarquement passager.
LES OPÉRATIONS DE SAUVETAGE
Les opérations de sauvetage et l’évacuation de l’avion sont grandement facilitées grâce au sang-froid et à la parfaite discipline de l’équipage et du personnel complémentaire de bord;
l’autorité de l'hôtesse vis-à -vis des passagers fait qu’il n'y aura, à aucun moment, d’affolement à l'intérieur de la cabine.
Toutes les consignes prévoyant la répartition des tâches et l'emplacement du personnel de conduite sont scrupuleusement respectées; la panique est ainsi évitée et l’évacuation totale de l'avion est assurée en 10 minutes.
Le premier mécanicien abandonne le bord par l’issue de secours avant gauche de la cabine, la porte du poste d’équipage ayant dû être refermée par suite de l'envahissement de la mer; le copilote et le commandant de bord suivent le même chemin et se réfugient sur l’aile gauche.
Le radio, l’hôtesse et les deux stewards sont à l’aplomb de la porte d’embarquement des passagers et aident ceux-ci à évacuer l’appareil. La consigne donnée par l’hôtesse de ne pas percuter, avant l’évacuation de l’avion, les bouteilles de C02 servant à gonfler les gilets, est respectée par tous les passagers; le radio, qui s’est mis à l'eau, assure la percussion de ces dernières.
Aussitôt l’évacuation terminée, le radio, excellent nageur, reçoit du commandant de bord l’autorisation de quitter l’épave pour chercher du secours.
Plus tard, quelques passagers et membres d’équipage se dirigent à la nage, les uns vers la côte, d'autres vers le phare; certains nageront plusieurs heures; il ne reste finalement sur l’avion que le commandant de bord, le copilote et une dizaine de passagers.
MM. Terry et Steens sont sur l’aile gauche avec quelques rescapés; l’hôtesse est sur l’alle droite avec une passagère et son bébé. Le commandant de bord fait allumer les lampes électriques des gilets et les survivants font des signes en direction du
phare dans l’attente des secours.
Le premier pilote constate quelques moments plus tard que l’essence se répand au droit du bord de fuite de l’aile gauche; craignant que l’évacuation ne devienne dangereuse du fait de la nappe d’essence qui s’étale, 11 donne l’ordre à tous do quitter l’épave.
Cet ordre n’est pas intégralement et immédiatement suivi d’effet, certains passagers répugnant à entrer dans l’eau.
Le commandant de bord, le co-pilole, les mécaniciens et quelques passagers se mettent à l’eau. Ils arrivent à la côte après une heure de nage environ.
Une petite barque à rames, pilotée par le gardien de phare, parvient à proximité du lieu de l’amerrissage peu de temps après l’engloutissement de l’appareil. Le gardien prend à bord de son bateau une passagère, son bébé sauvé par l’hôtesse, trois passagers, l’hôtesse enfin.
Dès son retour au phare, le gardien alerte les autorités du port.
Il fait jour maintenant; les autorités arrivent sur une vedette et recueillent une partie des survivants; cette vedette ainsi qu'un autre bateau restent sur les lieux une heure environ et repêchent quelques passagers nageant encore.
Le radio, arrivé à la côte en compagnie d'autres personnes et membres d'équipage, sauve un passager en détresse; tous ceux qui ont gagné le rivage sont secourus par la vedette et l'autre barque.
Arrivé dans le port, l’équipage dresse le bilan des rescapés; quatre morts sont à déplorer: leurs corps surnageant, équipés des gilets de sauvetage gonflés, sont repêchés par la vedette et les marins du port de Fethiye.
La débarquement s'effectua au milieu d'une population sympatique qui fait de son mieux pour apporter aide matérielle et morale aux rescapés.
CONSEQUENCES DE L'ACCIDENT
L'amélioration de la visibilité, le calme de la mer, la maîtrise du commandant do bord ont permis l'exécution d'un excellent amerrissage; la durée de flottaison de l'épave, la parfaite discipline de l’équipage et l’autorité de l'hôtesse ont grandement facilité l’évacuation rapide des occupants.
Pour le personnel. — 4 passagers sont décédés. — 2 membres de l'équipage sont blessés.
Pour le matériel. — On enregistre la perte de l’avion qui s'est englouti avec le fret et les bagages.