Article "Le Matin" du 01.12.2011
"Le ministre de la Défense Ueli Maurer a porté hier son choix sur l’achat d’avions de combat suédois Gripen. Une décision débattue dans la presse suisse et française.
C’est le choix qui ne satisfait personne» assène d’emblée jeudi matin l’édito de la Tribune de Genève.
La presse n’est pas tendre avec la décision d’Ueli Mauer hier de privilégier l’achat de 22 avions de combat Gripen du suédois Saab aux Rafales du français Dassault et aux Eurofighters du groupe européen EADS. Une opération qui coûtera la coquette somme d’environ trois milliards de francs.
Le problème? Le ministre de la Défense a opté pour l’avion le moins cher, mais dont les performances font débat. Au point de décevoir les militaires conservateurs du parlement. D’où la question posée par 24 Heures: «Comment Ueli Maurer qui voulait la meilleure armée du monde peut-il se contenter d’un avion de 2e catégorie?»
Dassault déçu
En matière d’avions de combat, le Rafale passe en effet pour le meilleur modèle. La presse française ne manque pas ainsi ce matin de relayer la déception du constructeur.
C’est le cas du Figaro: «Le groupe Dassault a indiqué dans un communiqué avoir "pris bonne note du choix des Autorités suisses", mais regrette que "le Conseil Fédéral (...) ait sciemment décidé de ne pas positionner la Suisse au plus haut niveau européen s'agissant des performances des nouveaux avions de combat". Selon le groupe, les capacités du Rafale auraient permis à la Suisse d'acquérir moins d'avions pour répondre à ses besoins opérationnels, à "un coût équivalent ou inférieur".»
Dans le journal économique et boursier La Tribune, la réaction sèche de Rafale est également rapportée. Le constructeur y rappelle le manque de confiance que suscite le modèle suédois: «Le Gripen helvétisé n'existe que sur le papier.»
Technologie ancienne
Les critiques à l’égard de l’avion suédois fusent aussi du côté des pilotes de combat. L’un d’entre eux avoue à La Liberté sous couvert d’anonymat qu’à ce stade, une remise à jour des Tigers actuels aurait suffi, tout en étant moins cher: «Le Gripen suédois est un avion de technologie ancienne, certes éprouvée, mais qui ne remplit pas tous les rôles censément dévolus à un chasseur», raconte-t-il au quotidien fribourgeois.
Alors qu’a-t-il bien pu se passer dans la tête d’Ueli Maurer? La presse suisse répond unanimement à cette question: le choix du Gripen est purement politique. L’avion le moins cher aura plus de chance d’être accepté par le parlement, et même par le peuple, en cas de référendum.
Contesté par l’UDC
Mais le pari est risqué. Car la stratégie est contestée dans le camp même d’Ueli Maurer: «Un avion qui n’existe que sous la forme de prototype n’a aucune chance au parlement», affirme Roland Borer dans le Tages-Anzeiger, qui arbore en Une un avion Gripen décoré comme un sapin de Noël.
D'autant plus risqué que les Verts et le Parti socialiste estiment pour leur part que la Suisse n’a pas besoin pour l’instant d’acheter de nouveaux avions de combat: «Au cas où le référendum n’est pas garanti, nous lancerons une initiative populaire. Le peuple doit pouvoir se prononcer sur cet achat», souligne le conseiller aux Etats vaudois vert Luc Recordon dans le Matin.
Même si les bouchons de champagne ont volé en Suède, un gros travail de persuasion sera nécessaire, avant que le nouveau Saab Gripen puisse effectivement décoller, constate la Neuer Zürcher Zeitung. Le grand quotidien zurchois rejoint le Blick dans le constat que le dossier passera par les urnes, comme l’achat du F/A-18 il y a bientôt vingt ans. Pour passer la rampe, les partisans devront toutefois présenter un concept de défense et un modèle de financement crédibles, avertit l’éditorialiste zurichois.
Vendetta?
Et si ce choix controversé était une vengeance du Conseil fédéral contre le parlement?, se demande Le Temps. Un choix médiocre pour rappeler que les sept sages, excepté Maurer, «n’ont guère apprécié de se voir forcer la main au parlement pour anticiper l’acquisition de nouveaux avions.»
Le quotidien rappelle enfin que l'achat prudent du Gripen a peut-être également été motivé par une sombre affaire des années 1960, dite des avions «Mirage». La Suisse avait alors dépassé les crédits d’achat des appareils français, entraînant la chute du conseiller fédéral Paul Chaudet."
Contribution: Marc-Henri Jobin Le Matin.ch
_________________ Dé-psychosée de l'avion
|