Extrait Guyaweb du 3 mars 2023 Publié le 03/03/2023 à 12H10 | Par : Guillaume Reuge
Vega-C : une pièce fabriquée en Ukraine à l’origine de l’échec du 20 décembre
Décollage de la mission VV22 de Vega-C, le 20 décembre dernier depuis le Centre spatial guyanais. Deux minutes et vingt-sept secondes plus tard, la mission est perdue. Depuis, les Vega-C sont clouées au sol et ne reprendront pas du service avant la fin 2023 © ESA
Deux mois et demi après l’échec du premier vol commercial du lanceur léger italien survenu le 20 décembre 2022, la commission d’enquête indépendante a rendu ses conclusions ce vendredi matin : une pièce de deuxième étage de la fusée, fabriquée par la société ukrainienne Youjnoye, est en cause.
Comme pressenti deux jours après l’échec du premier vol commercial du lanceur léger Vega-C, c’est bien une pièce du second étage de la fusée sous maîtrise d’œuvre italienne qui est à l’origine du crash du 20 décembre d’après les conclusions de la commission d’enquête indépendante rendues publiques ce vendredi.
Ce soir-là , il est près de 23 heures lorsque la fusée Vega nouvelle version s’élance de son pas de tir kouroucien, avec à son bord les deux satellites Pléiades Neo 5 et 6 de l’industriel Airbus. Mais deux minutes et vingt-sept secondes après le décollage, le lanceur dévie de sa trajectoire nominale et perd en pression. Ordre est alors donné de détruire la fusée au-dessus de l’océan Atlantique. La mission est perdue, la troisième en 22 lancements des fusées développées par Avio. Depuis, le programme Vega-C est à l’arrêt complet, dans l’attente d’une enquête diligentée dès le lendemain de l’échec par une commission indépendante.
Cette dernière a rendu ses conclusions ce vendredi 3 mars depuis le siège parisien de l’Agence spatiale européenne (ESA). Comme pressenti, c’est bien une pièce du second étage (la fusée en compte quatre) qui est en cause. Selon les experts de la commission, la défaillance provient du col de la tuyère, fabriqué par la société ukrainienne Youjnoye, qui équipe le moteur du deuxième étage (Zefiro 40) du lanceur. Il s’agit de la partie qui relie le corps central à la tuyère, en bas de la fusée. Une pièce considérée comme « critique » par les experts.
Pour la commission, l’échec serait dû à une « érosion thermomécanique inattendue du composite carbone/carbone constituant l’insert du col de tuyère, acheté par Avio en Ukraine. Des investigations complémentaires ont conduit à la conclusion que ce phénomène était probablement dû à un défaut d’homogénéité du matériau utilisé pour cette pièce » qui n’a supporté ni la pression ni la température du vol.
Maître d’œuvre de cette fusée, le groupe italien Avio avait préféré ce fabricant ukrainien à son fournisseur traditionnel, ArianeGroup, qui jusqu’ici livrait cette pièce essentielle d’après une information révélée par le site La Tribune.fr et confirmée par le rapport de la commission. Cette dernière y précise qu’ »Avio a d’ores et déjà mis en œuvre une solution alternative pour les prochains cols de tuyères (…) fabriqués par ArianeGroup ».
Mais cet accident pose la question de la responsabilité de l’ESA en tant que commanditaire des fusées. Dans une lettre envoyée le 28 février, révélée par Les Echos, l’Agence spatiale française (le Cnes – Centre national des études spatiales) demande à son homologue européenne de procéder à une enquête interne, en plus de l’enquête technique. Elle demande une révision profonde du management des projets.
Ce qu’a aussi souligné la commission d’enquête indépendante qui recommande de compléter ses conclusions par des « tests et analyses supplémentaires afin de garantir la fiabilité de la qualification de la solution alternative retenue pour le Zefiro 40« , de mettre en œuvre « une phase de qualification supplémentaire du moteur Zefiro 40 avec le matériau C/C alternatif » et de mettre en place « un plan d’actions dans le but de garantir, sur le long terme, une production fiable du lanceur dans la durée« .
Des recommandations qui, une fois mises en œuvre, « doivent garantir un retour en vol fiable et durable du lanceur Vega-C« , a souligné Josef Aschbacher, directeur général de l’ESA. Ce vendredi, l’agence a fixé comme objectif la reprise des vols de Vega-C pour « la fin 2023« .
Une fiabilité largement écornée
D’ici là , les Européens auront un accès limité à l’espace. Quatre lancements Vega-C étaient inscrits au plan de vol du Centre spatial guyanais de Kourou pour 2023. Arianespace devra faire sans pour honorer tous ses contrats. Un nouveau coup dur pour l’Europe spatiale qui n’est certaine de lancer cette année que deux fusées Ariane 5, les deux dernières du programme. Les missions Juice en avril et Syracuse probablement en juin.
En petit lot de consolation, l’ESA devrait profiter de cette crise des Vega-C, clouées au sol jusqu’à la fin de l’année, pour écouler les deux dernières fusées Vega (ancien modèle) qu’il lui reste et remplumer son plan de vol. C’est en tout cas ce qu’a laissé entendre Josef Aschbacher lors de la conférence de presse de ce vendredi 3 mars. « Je suis heureux que nous puissions reprendre les campagnes Vega tout en préparant le retour en vol de Vega-C. Restaurer l’accès indépendant de l’Europe à l’espace est la priorité de l’ESA », a déclaré le patron de l’Agence spatiale européenne.
Il y a un an, Arianespace, l’agence qui commercialise les vols spatiaux, disposait d’une gamme de trois fusées à proposer à ses clients : Vega, le lanceur léger pour les orbites basses situées entre 300 à 2000 km de la Terre, Soyouz, lanceur moyen destiné aux orbites basses, et Ariane 5, le lanceur lourd réservé aux missions géostationnaires, les plus éloignées, à 36 000 km de la Terre.
2022 devait être l’année du renouvellement de cette gamme. Il n’en fut rien avec l’échec de Vega-C et le retard de près de quatre ans d’Ariane 6 qui sera lancée, au mieux, à la fin de l’année 2023. La crise est profonde et l’image de fiabilité des lanceurs européens largement écornée.
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